La qualité de la formation aux métiers du digital pose un problème en Afrique. Les spécialistes s’interrogent, le gouvernement de Côte d’Ivoire se cherche des solutions. Rien n’est simple.
En Côte d’Ivoire, plusieurs initiatives gouvernementales et privées sont prises pour améliorer la qualité de la formation en général. Il en est de même pour assurer la disponibilité des compétences numériques. Cependant, nuance Fatim Cissé, la première femme ivoirienne diplômée en intelligence artificielle, des défis majeurs sont à relever dans ce secteur spécifique.
Choisir entre la Silicon Valley et la Côte d’Ivoire
« Des ressources humaines sont certes formées, mais ce sont des formations réservées à une certaine minorité. Sur le marché, les meilleures compétences s’exportent parce qu’il y a une pénurie mondiale. Donc, si moi je suis compétente, j’ai le choix entre travailler chez Google, à la Silicon Valley ou rentrer en Côte d’Ivoire. Ce qu’on voit, c’est que les meilleurs partent », a fait observer la patronne de l’entreprise DUX, le 2 juin, à la présentation du 12ème rapport de la Banque mondiale sur le digital dans l’économie ivoirienne.
En conséquence, elle propose d’adresser cette question « en formant de grands volumes, en sachant qu’une partie va forcément partir », mais en mettant tout en œuvre « pour maintenir une partie localement afin de pouvoir travailler sur nos projets ».
Sauf que la problématique de la qualité de la formation se pose avec acuité. Elle n’est surtout pas marginale. Pour Fatim Cissé, « il ne s’agit pas de former, il faut bien former ». Or, dit-elle, « on a un déficit local de compétences, d’enseignants expérimentés, capables de fournir une formation de qualité à nos jeunes ».
La qualité de la formation en question
Elle ne croit pas si bien dire. J-C. G. est étudiant en Mastère II en Management marketing digital. Le Mastère est un diplôme international, supérieur au Master, qui dispense une formation plus spécialisée et pratique. Pour s’assurer une formation de qualité, ce jeune a fait un choix : s’inscrire dans une université française ayant une représentation en Côte d’Ivoire.
« Ce choix d’université occidentale est justifié par le fait que les métiers du digital y sont valorisés. La demande en main d’œuvre dans le marketing digital, par exemple, étant importante, de nombreuses écoles de formation européennes ont ouvert des filières. Les étudiants disposent là-bas d’encadreurs compétents et expérimentés », argumente-t-il. Par contre, selon lui, la Côte d’Ivoire, pays en voie de développement, fait ses premiers pas dans le marketing digital.
« Chez nous ici, la majorité des enseignants ivoiriens n’a pas vraiment suivi de formation dans ces nouveaux domaines. Ils ont, pour les plus chanceux, fait des certifications, des formations à courte durée sans réellement avoir pratiqué. Ceci étant, j’ai fait le choix de me faire former dans une école européenne, d’apprendre auprès de personnes qui vivent le digital au quotidien. J’apprends ainsi auprès de professeurs agréés, qui pratiquent le métier depuis longtemps », explique J-C. G.
Investir dans les outils de formation digitaux
Comme lui, de nombreux jeunes partent chercher la connaissance ailleurs, en Occident. L’offre locale, ivoirienne, voire africaine, étant faible, en termes de qualité. Or, les compétences numériques et digitaux relèvent de la connaissance pointue.
La qualification, par exemple, en intelligence artificielle ou marketing digital, ne s’accommode pas d’approximation. La transmission du savoir ne doit donc souffrir d’aucune ambiguïté. Il se trouve, hélas, que la Côte d’Ivoire ne dispose pas d’enseignants susceptibles de combler les besoins d’élévation dans ces compétences spécifiques.
« La solution, selon moi, c’est d’investir dans les outils de formation digitaux qui permettront à la fois d’adresser la question de volume et de qualité en partenariat avec les grandes structures de formation internationale. Le problème de la formation peut être adressé en utilisant des outils numériques de qualité et des partenariats avec le privé », suggère Fatim Cissé.
Le modèle de l’Inde : la technologie n’est pas un luxe
Ici, le modèle de l’Inde pourrait inspirer les dirigeants ivoiriens, africains. Au dire d’un ancien étudiant ivoirien en Inde, aujourd’hui chef d’entreprise spécialisée dans le secteur du digital, ce pays au milliard d’habitants offre un bon cadre de formation dans les métiers du numérique et de la technologie.
« L’éducation dans la technologie y est moins chère, parce qu’elle est subventionnée par l’Etat. La connexion internet est moins chère, et de bonne qualité malgré le grand nombre d’utilisateurs. Les livres et autres documents traitant des questions de technologie sont accessibles et moins chers, comparés à certains pays européens », justifie-t-il.
« Mais, le plus important, à mon sens, ajoute-t-il, c’est qu’en Inde, contrairement aux pays africains, la technologie n’est pas considérée comme un luxe. Vous y trouvez des experts dans tous les domaines, et dès qu’une innovation émerge, ces experts s’en approprient et la maitrisent très vite pour ensuite transmettre le savoir aux étudiants. Ce qui fait qu’ils ne sont jamais dépassés par l’évolution technologique. Bien au contraire, ils sont à la pointe ! »
« D’ailleurs, aujourd’hui, l’Inde est le plus gros pourvoyeur d’ingénieurs en informatique, de développeurs, d’administrateurs systèmes, d’experts en cybersécurité, en intelligence artificielle, en machine learning, etc. », confirme un de ses compagnons d’aventure en Inde. Pour toutes ces raisons, le pays des Singh est très attractif pour de nombreux étudiants africains.
Faten Ben Aissa, spécialiste de l’éducation, écrit : « Bâtissons l’avenir des jeunes en investissant dans leur formation ». Cet avenir repose sur la science. La science, c’est ce que le père enseigne à son fils. Mais, la technologie, c’est ce que le fils enseigne à son papa. Nous sommes à l’ère de la technologie qui réinvente la vie de l’homme.
L’Afrique n’a pas le droit de rater ce cap. Elle doit réorienter ses investissements. Elle a surtout besoin de chercheurs qui cherchent et qui trouvent. Il suffit simplement de s’intéresser davantage aux inventions des petits asiatiques, américains et indiens, qu’aux buzz, et autres clashs sur Facebook et à la télévision !!!!
K. Bruno