90% des fintech vont mourir à cause de l’interopérabilité de la BCEAO à taux 0. De quoi susciter les inquiétudes mais aussi des propositions d’Alex Séa, directeur d’Africa Fintech Forum qui accorde à magazine Digitalmag.ci, une interview exclusive, au Next Fintech Forum 6, à Abidjan.
Qu’est-ce qu’une fintech ?
Une fintech, c’est une startup qui opère dans le secteur du numérique. Fintech, c’est la contraction de deux mots : finance et technologie. Elle développe des solutions pour permettre aux populations d’avoir accès à des services financiers, et aux fournisseurs de services financiers de gérer leurs services et propositions de valeurs adressées aux populations. Donc, une fintech est une startup qui développe des innovations financières permettant aux fournisseurs de services financiers de gérer leurs services de façon optimale et aux populations d’avoir accès à ces services et de les consommer.
Quelques solutions qui existent sur le marché ivoirien ?
Dans la fintech, il y existe différents types d’acteurs. Des acteurs sur le mobile money comme Orange, MTN, Moov et Wave. Des acteurs comme HPS qui fournissent des solutions bancaires pour adresser un parcours client. Il y a aussi des fintech qui offrent des services de rémittence, d’envoi d’argent. Par exemple, les fintech Magma Send et Sama money. D’autres sont sur la fourniture de solutions de gestion d’actifs en bourse en permettant au citoyen lambda d’acheter des actions, à partir de son téléphone.
Comment ces fintech se positionnent elles par rapport aux opérateurs Mobile money ?
Il faut savoir que MTN, Orange, Moov et Wave sont des fintech. En termes de positionnement, les fintech sont concurrentes. Sauf que ce n’est pas une concurrence farouche. Pour nous, avant de créer de la valeur, il faut qu’on se mette ensemble pour susciter l’intérêt des populations. Ainsi, ayant une masse critique qui adhère à nos solutions, cela peut améliorer les revenus des gros et des petits acteurs de la fintech. D’ailleurs, certaines qui sont connectées aux API d’opérateurs mobile money arrivent à faire du flux sur ces plateformes, en permettant de payer à partir de son téléphone un service, quel que soit l’opérateur, ce qu’on appelle l’agrégation.
Avez-vous le sentiment que vos solutions fintech intéressent la masse populaire ?
On a plusieurs types de fintech mais deux types de marché. Le B2B, le marché des entreprises, et le B2C, le marché grand public. Sur le marché B2C, les fintech ont beaucoup plus de difficultés parce qu’elles doivent investir plus de cash dans la promotion, l’expansion et le développement de leur réseau. Ces fintech ont de la peine, surtout dans notre zone francophone parce qu’elles n’arrivent pas à lever des fonds.
Donc, généralement, les fintech se concentrent sur le B2B où elles ont plus de revenus. Nous sommes en train de travailler sur des solutions de gestion d’actifs en bourse et d’investissements. Il s’agira de rendre disponible la liquidité pour des investissements dans des projets, à partir de solutions de petits tickets de 10000F ou 20000 permettant à tout individu, salarié, paysan, commerçants, artisans, etc., d’investir dans un projet, et à l’entrepreneur de disposer de fonds nécessaires au développement de son projet.
Plus globalement, quels sont vos défis dans la fintech ?
D’abord, la régulation. Ensuite, l’accès à l’investissement. Il y a aussi l’infrastructure, notamment technologique. Il faut de la disponibilité du réseau sur tout le territoire pour que les services proposés par les fintech atteignent les populations dans les plus zones reculées. Parlant d’interopérabilité, il ne faudrait pas de cloison entre les acteurs et les plateformes. Il faudrait que d’un mobile money, je puisse envoyer de l’argent sur un compte bancaire, ou de Western Union à mobile money. Par ailleurs, dans les supermarchés où chaque opérateur mobile money a son code QR de paiement, il faudrait unifier le système. Et enfin, développer la confiance des acteurs francophones dans la technologie francophone.
Qu’en est-il des opportunités ?
Le mobile money, par exemple, a permis d’améliorer le taux d’inclusion financière de 20, 30 ou 40% selon les pays. Je peux citer aussi la création d’emplois. J’ai discuté avec un banquier qui m’a dit qu’aujourd’hui, les fintech paient mieux que les banques et que les télécoms. Donc, on peut dire que les opportunités d’emplois sont plus intéressantes dans les fintech. Il y a aussi de la richesse qui est créée avec les jeunes qui ont des projets, des ressources et des revenus assez intéressants. L’impact sur les populations n’est pas négligeable puisqu’elles arrivent avec les fintech à consommer les services financiers et participer ainsi à la vie économique du pays.
Parlant de régulation, que dit l’Instruction 001-08-2024 de la BCEAO ?
Cette instruction donne aux fintech une perspective de se déclarer pour obtenir une licence de paiement. La BCEAO nous demande de remplir certaines conditions dont l’une est d’avoir un capital social de 10 millions FCFA pour la plus petite formule de licence, et 100 millions FCFA pour la plus grande. La difficulté, ce sont les montants. Un fondateur de startup me disait qu’il a dépensé plus de 30 millions FCFA pour se conformer. C’est beaucoup pour une fintech ! Mais, ce n’est pas quelque chose qu’on repousse.
Si vous ne repoussez pas, que demandez vous ?
Des mesures d’accompagnements ! Par exemple, la mise en place d’un fonds pour permettre aux fintech de se conformer, surtout qu’avec l’interopérabilité, il y a des choses que les fintech ne pourront plus faire. En effet, la plateforme d’interopérabilité de la BCEAO va le faire à taux 0, et beaucoup de fintech vont mourir. On est conscients qu’on doit se réorienter et s’améliorer. Mais sur les licences, on demande que les coûts soient réduits. Les fintech doivent pouvoir se concentrer sur les idées et l’innovation.
Pour bien comprendre, vous dites que l’interopérabilité va tuer les fintech ?
Disons 90% des fintech vont mourir à cause des coûts à taux 0. A taux 0, ce ne sont pas que les fintech qui vont mourir, les Orange, MTN, Moov money et Wave vont perdre beaucoup…
Interview réalisée
Par K. Bruno