Le ministre de la Communication et de l’Economie numérique, Amadou Coulibaly, inscrit la transformation digitale de la Côte d’Ivoire au cœur de ses priorités. Quelle est votre appréciation du Rapport de la Banque mondiale qui consacre un chapitre entier à l’économie numérique ?
Je salue le 12ème rapport de la Banque mondiale qui est très positif en ce qui concerne l’économie de notre pays. Je note que ce rapport est en cohérence avec le 6ème qui déjà, à l’époque, je posais la question de savoir comment la Côte d’Ivoire pouvait rattraper son retard technologique. Ce rapport intitulé, si je me souviens, « Aux portes du paradis ». Il y a une constance dans le développement de l’économie de notre pays, et la transformation digitale trouve toute sa place.
Justement comment tirer profit du digital pour renforcer la résilience de la Côte d’Ivoire ?
Au regard des performances qui ont été révélées par le rapport, je ne sais plus si, en ce qui concerne notre pays, on doit parler de résilience. Je dirai plutôt renforcer les performances. Quand on a eu un taux de croissance de 8% pendant pratiquement 10 ans, quand, au moment où toutes les économies étaient en récession, nous avons su nous maintenir dans le vert avec un taux de croissance de 2%, je crois qu’on doit plutôt parler de renforcement de nos performances parce que nous avons dépassé la résilience, toute modestie mise à part.
Revenons au digital, si vous le permettez, Monsieur le ministre…
Tirer profit du digital suppose que nous sommes déjà engagés dans la transformation digitale. Très souvent, on pense que cette transformation se résume aux changements technologiques, c’est un peu réducteur. La transformation digitale va bien au-delà. Au-delà de l’aspect technologique qui suppose les infrastructures, les terminaux, l’informatisation des process. Le digital impulse une nouvelle modélisation des affaires, un nouvel état d’esprit. Mais, il y a aussi le développement des compétences, comme évoqué dans le rapport. Cela suppose de nouvelles ressources à former, et tout cela entraine une nouvelle organisation des entreprises.
Tout va bien alors ?
Je ne vais pas être rabat-joie, je vais dire les choses comme elles sont : tout cela nécessite des prérequis. Dans notre pays, nous avons un taux d’analphabètes de 57%. On cite souvent certains pays qui ont réussi leur révolution digitale en 10 ans, je veux parler, par exemple du Cap Vert. Mais vous y avez un taux d’alphabétisation de 98%, ce n’est pas anodin. Ensuite, il y a l’accessibilité des services à l’ensemble de la population. Ici, il faut voir la mise à disposition des réseaux et le coût du réseau. Nous sommes malheureusement un pays où le coût d’internet est des plus élevés. Si on veut une véritable inclusion sociale numérique, on doit pouvoir apporter une réponse à tous ces frais. Enfin, il faut pouvoir apporter des services digitaux locaux attractifs qui répondent aux besoins des populations.
La Côte d’Ivoire est-elle suffisamment attractive pour des initiatives en matière d’économie numérique ? Il y a des initiatives massives dans certains pays, notamment au Rwanda, au Nigeria, des grands groupes comme Google sont installés au Kenya…
Déjà, il y a l’adoption de la Stratégie nationale de développement du numérique. Elle est récente puisque le texte a été adopté en décembre 2021. Dans le même mois, on a adopté notre stratégie de cybersécurité et d’innovation. Nous sommes à l’opérationnalisation de ces stratégies avec des priorités que nous avons identifiées. Elles sont 4.
D’abord, l’inclusion sociale numérique. Il est important que le numérique prenne en compte l’ensemble de notre société, de nos concitoyens pour qu’il n’y ait pas d’exclusion. Cela passe par le Registre national de personnes physiques, le RNNP, qui va permettre de doter chaque citoyen d’un identifiant unique. Ensuite, les infrastructures. C’est vrai que nous avons développé un réseau de fibre optique d’environ 5000 kilomètres pour couvrir l’ensemble du territoire, mais il faut achever le déploiement de ce réseau et le rendre opérationnel parce que sur ces 5000 kilomètres, un peu plus de la moitié n’est pas opérationnel.
Les spécialistes s’inquiètent pour la souveraineté numérique…
Pour notre souveraineté numérique, nous pensons qu’il est important que nous ayons notre data center national, notre cloud national pour que nous ne dépendions pas de données hébergées à l’extérieur. Lorsque nous allons développer ces infrastructures, vous pouvez être sûrs que vous aurez des données locales. Un aspect important est celui de la sécurité, de la confiance numérique. Cela fait partie de nos priorités. Enfin, le développement des compétences.
Une fois que nous aurons opérationnalisé cette stratégie nationale, nous serons attractifs. Le chantier est ouvert, les perspectives sont bonnes, nous sommes engagés, je pense que très vite, avec les différents appuis, les partenaires financiers et techniques, nous allons mettre en œuvre ces différentes priorités. Nous avons aussi le VITIB qu’il va falloir opérationnaliser de façon à ce que les privés occupent cette zone franche et contribuent au développement de notre économie.
Quelle est la perspective en matière d’entreprenariat numérique ? On a aussi envie d’avoir nos Google. Comment on fait des champions nationaux ?
Il y a la question du financement de tout cet écosystème. Dans le secteur du mobile banking par exemple, l’écosystème est méconnu. Du coup, il n’y a pas de textes qui permettent de fonctionner comme cela se devrait. Il en est de même pour les start-ups. Pendant le SITIC, j’ai pu découvrir des start-ups impressionnantes, qui répondent à des préoccupations de la vie de tous les jours. Il faut du financement. Mais, le secteur n’étant bien connu, le facteur risque n’étant pas maitrisé, les banques hésitent.
Il faut pouvoir trouver un mécanisme pour accompagner ces start-ups et leur permettre de se développer. Je disais à une start-up qui m’a reçu sur son stand, une chose est de créer et d’innover mais la partie commercialisation, c’est un autre métier. Vous ne pouvez pas tout faire vous-même. Il faut vous adresser aux forces de vente, marketing, qui sont de vrais métiers. Elles vous permettront de rentabiliser votre création.
Il n’empêche que des initiatives existent…
Le gouvernement a pris beaucoup d’initiatives avec la Fondation jeunesse numérique qui permet d’accompagner les start-ups sur tout le parcours pour sortir du stade d’incubateur et atteindre le développement de leur innovation. Il y a également beaucoup d’initiatives dans le privé. La Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire accompagne les start-ups. J’ai trouvé un secteur où il y a beaucoup d’initiatives mais qui a besoin de coordination afin de les rendre efficaces. Il y a du potentiel, nous sommes déterminés à faire en sorte qu’il se transforme.
Et la loi sur les start-ups qui n’a toujours pas été adoptée ?
Je vous rassure, cette loi sur les start-ups, nous la connaissons, je n’ai pas voulu la citer quand j’ai parlé de l’accompagnement. Tout ce développement a besoin d’un cadre réglementaire et législatif pour évoluer, il faut que tout soit bien encadré. Cette loi était déjà au secrétariat général du gouvernement quand le gouvernement a changé. Et la pratique dans l’action gouvernementale, c’est que tous les textes soient ramenés pour que la nouvelle dénomination du ministère soit portée sur le texte. Ensuite, vous permettrez que je puisse jeter un œil et que je vois s’il ne faut pas améliorer. Là-dessus je vous rassure.
Propos recueillis
Par K. Bruno