Aux Assises de la transformation digitale en Afrique (ATDA), à Abidjan, ce 20 novembre 2024, Reda Ben Geloune, PDG d’AITEK, a donné une interview exclusive à Digitalmag. Selon lui, l’Afrique est encore mal partie dans la révolution technologique, notamment en investissements IA. Chiffres à l’appui : 150 millions de dollars investis en 2024 en Afrique, contre 67 milliards de dollars aux USA. « Faites le calcul, on va dire quoi là, là ! », lance-t-il, presque dépité.
Comment se manifeste l’alliance Cloud/IA en Afrique ?
En fait, l’IA a besoin de données, data, pour se développer. Qui parle de data, parle de cloud. Si on veut alliance Cloud/IA en Afrique, il y a du travail à faire autour de la souveraineté des données et de la mise en place du cloud. Qui dit cloud, dit stockage et sécurité des données. Mais où sont les serveurs qui stockent nos données ? Nos données sont-elles stockées chez nous ou à l’extérieur ? Sur ces questions, il y a encore du travail à faire.
Quelle est la bonne formule selon vous sur ces questions de cloud, stockage et souveraineté des données ?
L’idée est de développer des cloud souverains. C’est une question de stratégie et d’investissements. Certes, ce sont des investissements lourds, mais ils peuvent être faits à la fois par le secteur public et le secteur privé. On peut aussi construire des data center. Je sais qu’en Côte d’Ivoire, il y a un projet qui est censé voir le jour l’année prochaine avec une levée de fonds qui est déjà effective. Mais, il va falloir débuter et aller jusqu’au bout. Quoi qu’il en soit la sécurité des données est très importante pour nos populations et pour le développement de l’IA en Afrique.
Selon vous, quels sont les d’investissements prioritaires à faire pour le développement de l’IA en Afrique ?
Il y a trois axes. D’abord, les infrastructures pour la souveraineté et la sécurisation des données. L’IA, c’est de la puissance computationnelle et de la puissance de stockage de données dans des infrastructures (cloud, data center, Ndrl). Ensuite, renforcer les lois sur la souveraineté de nos données. Il est important qu’on soit propriétaires de nos données. On doit développer nos propres modèles d’IA basés sur nos propres données. Enfin, nouer des partenariats internationaux parce que nous n’avons pas le savoir-faire. En revanche, nous pouvons choisir les partenaires avec qui nous nous allions sur du gagnant-gagnant. Donc, choisir des entreprises internationales qui ont la volonté de développer l’écosystème local et non des entreprises qui viennent prendre et repartent, comme c’est le cas dans nos pays, à l’heure actuelle.
Au regard des besoins sociaux de la Côte d’Ivoire, demander autant investissements dans le numérique, n’est-ce pas un luxe ?
Les gouvernants essaient de faire avancer les choses, des initiatives existent, mais c’est à nous, professionnels des TIC, d’alerter, parce que les dirigeants n’ont pas nécessairement toutes les informations. Le problème, c’est l’horizon qu’ils se donnent. C’est comme si on était sur projets normaux alors que dans la technologie, les choses vont si vite qu’on doit mettre les moyens pour aller au même rythme. Tenez, par exemple, l’Afrique, a mis place sa Stratégie IA en juillet 2024. Pendant ce temps, la Chine, les Etats-Unis, la Corée du Sud, le Japon, l’Inde en sont à l’exécution. Dans combien de temps, on finira d’écrire notre stratégie ? Il sera déjà trop tard. Dans la technologique, on n’est pas sur des projets de 3, 5 ans. Chaque jour, le fossé se creuse. Nous, on ne cesse d’alerter mais…
Est-ce que dans le dialogue entre vous, professionnels des TIC, et ceux qui élaborent les stratégies vous vous comprenez ?
On se comprend mais on n’a pas les mêmes priorités. Dans le secteur public, ils ont un horizon lointain. Nous qui sommes du privé, on voit les choses à la vitesse réelle. Le public doit se mettre au même rythme que nous parce que c’est une question de survie. On est sur une problématique où il faut que nos dirigeants comprennent l’urgence de la situation. Du reste, ce n’est que l’Afrique. Même la France, avec tous ses grands moyens est larguée. Je vous dis, les investissements IA en Afrique en 2024, c’est 150 millions de dollars, contre 67 milliards de dollars aux Etats-Unis. Faites le calcul ! On va dire quoi là, là ? Ils ont investi 450 fois plus que l’Afrique. Je ne parle même pas des investissements de la Côte d’Ivoire, sinon on va rigoler. Maintenant, on peut continuer à faire des réunions, des colloques, mais ça ce sont les chiffres, et les chiffres, ça ne ment pas !
Interview réalisée
Par K. Bruno