Il n’a pas de visage. Pas d’empreinte visible. Il s’infiltre par les câbles, les connexions, les écrans. Il parle la langue des lignes de code et se glisse dans la confiance comme un poison lent. En Côte d’Ivoire, le danger ne porte plus de kalachnikov : il tient dans un clic.
En 2024, plus de 12 000 cas de cybercriminalité ont été enregistrés sur le territoire. Des chiffres froids. Mais derrière, des vies fracassées, des entreprises ruinées, des femmes humiliées, des identités volées. 6 milliards de francs CFA envolés. Et cette sensation d’insécurité qui persiste, même quand la porte est verrouillée.
Un ennemi intime, bien de chez nous
Autrefois, la Côte d’Ivoire avait la réputation douteuse d’être la patrie des « brouteurs », ces cyber-escrocs qui chassaient des proies à l’étranger. Aujourd’hui, 90 % des victimes sont ivoiriennes. Le monstre a changé de cap. Il attaque à domicile. Ce n’est plus un jeu. C’est une industrie.
Des groupes organisés, des jeunes formés à détourner les systèmes de sécurité, des manipulateurs de l’ombre qui exploitent la vulnérabilité émotionnelle, l’ignorance numérique, la solitude des réseaux.
Et les victimes, elles, restent souvent silencieuses. Par honte, par peur, ou parce que les recours judiciaires sont longs, parfois inefficaces.
Chantage, piratage, humiliation : les nouvelles armes du crime
Ils ne volent pas, ils s’infiltrent. Ils ne braquent pas, ils manipulent.
Parmi les cas recensés :
- Des comptes bancaires vidés à distance,
- Des identifiants de réseaux sociaux usurpés,
- Des vidéos intimes utilisées comme moyen de chantage,
- Des entreprises paralysées par des attaques de ransomwares.
La Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC) fait ce qu’elle peut : 338 cyberdélinquants interpellés, 3607 comptes récupérés, 116 vidéos supprimées. Mais chaque jour, le mal reprend le dessus. Parce qu’il est rapide, invisible, sans visage fixe. Et surtout parce qu’il s’appuie sur une faille fondamentale : l’ignorance numérique d’une partie de la population.
Les femmes, cibles privilégiées des violences numériques
Le numérique n’est pas neutre. Il reflète le monde réel et ses violences. Les femmes sont les premières à en faire les frais : chantage sexuel, menaces, extorsions. Des vidéos volées, parfois diffusées pour « punir », parfois pour « faire taire ». Une nouvelle forme de domination, 2.0.
Elles sont nombreuses à ne pas porter plainte. Par peur du regard des autres. Parce qu’en ligne comme dans la rue, on leur demande encore si ce n’est pas un peu de leur faute.
Des outils techniques, mais un retard humain
La technologie évolue. Mais les mentalités, elles, peinent à suivre. La cybersécurité n’est pas qu’un enjeu technique. Elle est sociale, culturelle, éducative. Et surtout, elle est politique.
Tant que l’on continuera de croire que le danger est « virtuel », tant que les victimes ne seront pas pleinement entendues, le numérique continuera de blesser en silence.
Se défendre, ce n’est plus une option
Les autorités l’ont compris. Lors des Journées du droit numérique, la cybercriminalité a été reconnue comme la deuxième menace mondiale, juste après les armes chimiques. Des mots forts, mais encore trop peu d’actions concrètes. L’éducation numérique reste marginale. Les campagnes de prévention, sporadiques.
La Côte d’Ivoire est à un tournant. Soit elle dote ses citoyens, jeunes, femmes, entreprises, parents des armes de défense numérique. Soit elle laisse l’espace digital devenir un terrain de chasse pour les plus rusés, les plus violents, les plus cyniques.