Après des études en informatique en Inde, Daouda Fofana s’est spécialisé en data science pour combler un manque d’expertises en Côte d’Ivoire et contribuer au développement du pays via cette niche. Il est aujourd’hui Data Scientist dans un laboratoire pharmaceutique. Dans cet entretien exclusif, il parle de l’impact de la data (donnée) dans la santé et les défis de la digitalisation en Côte d’Ivoire.
Quelles compétences faut-il pour être un excellent data scientist ?
Pour devenir un excellent data scientist, il faut connaitre d’abord la statistique pour interpréter les résultats des modèles créés. Il faut aussi avoir une bonne compréhension statistique pour interpréter les résultats des modèles et des analyses préliminaires, et combiner à cela l’informatique, car nous faisons beaucoup de développement. Nous créons des modèles mathématiques avec des outils qui utilisent des langages de développement d’applications telles que Python. Pour le reste, il faut maîtriser la programmation.
Comment la data science transforme-t-elle les activités dans votre laboratoire ?
Dans l’industrie pharmaceutique, aujourd’hui, la data science est un domaine très important. Les données sur les gènes, les registres de santé, les dossiers médicaux électroniques et des patients, une fois que nous les avons, vont nous permettre après analyse de savoir comment résoudre les grands problèmes de santé de la population. La data science nous permet de connaitre les traitements nécessaires pour une région donnée et de savoir comment la population qui s’y trouve pourrait réagir à ces médicaments.
Comme exemple concret, au niveau du traitement médicamenteux, puisque nous avons des données sur les gènes, nous utilisons la bio-informatique pour faire des simulations et pour tester les réactifs sur ces gènes directement sans passer par des animaux ou des humains. Cette étape nous permet d’accélérer le processus de création des médicaments. De plus, au niveau de la logistique, des modèles peuvent prédire les besoins en médicaments par région pour éviter les ruptures de stocks.
Comment la machine learning peut-elle améliorer le diagnostic médical ?
Aujourd’hui, des outils d’intelligence artificielle permettent d’affiner le diagnostic du cancer, notamment dans l’analyse des mammographies. Nous proposons des solutions innovantes pour des problèmes précis lors du forum Intech Santé, c’est ainsi que nous avons proposé l’utilisation d’une solution développée par une entreprise coréenne qui applique la machine learning pour détecter automatiquement d’éventuelles anomalies dans les images médicales.
Lorsqu’une patiente passe une mammographie, une radiographie des seins destinée à évaluer leur densité et à repérer d’éventuelles masses anormales, l’image est généralement analysée par un spécialiste. Ce dernier examine les clichés pour identifier toute zone suspecte qui nécessiterait des examens plus approfondis. Cependant, le diagnostic visuel peut présenter des limites, surtout dans les régions où les effectifs médicaux sont insuffisants face à une population en croissance.
Un autre défi est lié à la densité mammaire des patientes. En Afrique, par rapport aux populations européennes, les seins sont souvent plus denses, c’est-à-dire composés davantage de tissus fibreux. Cela rend l’interprétation des mammographies plus complexe et augmente le risque d’erreur diagnostique. C’est là qu’intervient l’intelligence artificielle. Grâce à cet outil, une mammographie peut être soumise à un algorithme qui analyse automatiquement l’image et détecte d’éventuelles anomalies. Ce système assiste les spécialistes de sorte à réduire le risque d’erreurs dans leurs diagnostics.
Ce type de solution est déjà utilisé dans un pays où nous avons une filiale, en Afrique, où nous avons collaboré avec les autorités d’hôpitaux pour intégrer l’outil dans les services de soins diagnostics. Les résultats sont très encourageants.
Quels sont les défis spécifiques liés à l’adoption des technologies de santé en Côte d’Ivoire ?
L’un des principaux défis que nous rencontrons en Côte d’Ivoire est celui de l’accompagnement du changement. Sans cet accompagnement, même les meilleurs outils risquent de ne pas être adoptés. Un autre défi est le manque de formation. Beaucoup de professionnels de la santé ne maîtrisent pas ces outils et estiment qu’ils ralentissent leur travail au lieu de l’accélérer. Cela est d’autant plus vrai que la culture de la documentation numérique est encore peu développée. Face à cela, certains établissements embauchent du personnel non spécialisé pour saisir les données, mais cela soulève un autre problème qui est le risque d’erreurs. Il faut donc, avant tout, sensibiliser, former et accompagner les professionnels.
Comment l’analyse des données vous aide-t-elle dans les partenariats publics et privés ?
L’analyse des données permet avant tout de démontrer concrètement l’impact des technologies sur la population. Ce qui compte, ce n’est pas seulement d’adopter des outils à la mode, mais c’est aussi de prouver leur véritable valeur en termes de santé publique, d’économie et de qualité de vie. L’analyse des données transforme les discussions abstraites en décisions concrètes et mesurables. Elle apporte des arguments chiffrés et visuels aux acteurs publics et privés pour optimiser leurs investissements et améliorer l’accès aux soins de manière efficace.
Comment, selon vous, les solutions digitales pourraient-elles améliorer le système de santé en Côte d’Ivoire ?
L’objectif n’est pas de concevoir des systèmes ultrasophistiqués, mais de fournir des outils d’aide à la décision, accessibles. C’est pour répondre à ces enjeux que j’ai proposé une approche plus visuelle et factuelle. J’ai présenté une carte de la Côte d’Ivoire où chaque point coloré sur la carte est un patient. En fait, une concentration des soins à Abidjan oblige des patients de régions éloignées à parcourir des centaines de kilomètres pour se faire soigner. C’est ainsi que la décision fut d’autant plus évidente qu’il faut ouvrir le centre de prise en charge en oncologie de Bouaké.
Comment réussir une analyse de données ?
Il faut d’abord savoir pourquoi on collecte les données. Cela dit, il ne suffit pas de recueillir des données corrélatives ; il faut aussi identifier les facteurs et collecter les données liées à ces causes. Après cette phase, il faut recourir à un spécialiste, quelqu’un qui connaît bien le domaine, maîtrise les statistiques et sait utiliser des outils de visualisation pour présenter ces données de façon simple aux décideurs. C’est la raison pour laquelle il est important qu’un analyste de données comprenne le secteur d’activité dans lequel il travaille.
Quelles avancées technologiques vont révolutionner le domaine médical en Côte d’Ivoire ?
Je dirais qu’il faut commencer par une base solide. Cette étape initiale va constituer une base de données fiable. Ensuite, l’enjeu sera d’aller au-delà de la simple collecte pour se concentrer sur l’analyse et l’interopérabilité des données. Il ne s’agit pas simplement de recueillir des informations, mais d’avoir un objectif clair sur la manière de les exploiter. Une fois cette base établie, on pourra envisager des solutions complémentaires comme la télémédecine ou la blockchain.
Entretien réalisé par James Kadié