Les 19 et 20 novembre prochain, Dakar accueillera l’édition 2025 de Next Fintech Forum qui s’articulera autour de la stratégie fintech régionale pour transformer les économies locales. Dans une interview exclusive à DigitalMag, Djiba Diallo, stratège en transformation numérique, donne des éclairages sur les perspectives pour les banques et les fintech.
Le thème de la 7ème édition de Next Fintech Forum est : « Bâtir une stratégie fintech régionale pour transformer les économies locales dans la durabilité et l’inclusion ». Pourquoi le choix de ce thème ?
Le choix de ce thème est tout à fait en adéquation avec plusieurs facteurs, à la fois globaux et régionaux. Je vais en citer trois qui sont fondamentaux. Le premier, c’est dans un contexte global. D’après le rapport GSMA de 2024, l’Afrique compte plus de 1,1 milliard de mobile wallets. Quand je parle de mobile Wallet, je parle de ce qui est compte wallet qui est communément utilisé en Afrique et en Afrique de l’Ouest pour faire des transactions financières. Donc, l’Afrique a 1,1 milliard de ces wallets sur un total de 2 milliards dans le monde. Et les transactions financières en Afrique subsaharienne représentent 66% des transactions mondiales, des transactions digitales mondiales sur ces wallets.
Ces transactions ont contribué à 190 milliards de dollars dans le PIB des pays en Afrique subsaharienne. Ce qui en fait le continent leader quand il s’agit de monnaie digitale, de wallets, d’inclusion financière. L’Afrique est vraiment en avance sur le reste du monde dans ce domaine-là. Par ailleurs, l’Afrique de l’Ouest représente un tiers de la contribution dont je viens de faire état. Donc, un volume très, très important. Ça, c’est pour le contexte global. Quant au contexte régional, le taux de bancarisation strict, qui représente le pourcentage de la population qui a au moins un compte bancaire, dans la zone BCEAO, est autour de 25%.
Et lorsqu’on prend le taux d’inclusion financière, qui inclut les détenteurs de wallets ou de monnaies digitales, on se retrouve à un taux global régional de plus de 73%, avec de bons élèves comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire qui sont à plus de 80% et les meilleurs, le Togo et le Bénin, qui sont à 87%. Ce qui veut dire que dans la région, en réalité, le gap entre le taux de bancarisation strict et le taux d’inclusion financière, est comblé par les produits que les fintech apportent sur le marché. Pour tout dire, c’est grâce aux solutions digitales que les fintech apportent en Afrique de l’Ouest qu’aujourd’hui, on peut se prévaloir d’un taux d’inclusion financière assez élevé. Quand on atteint 80%, c’est quand même très significatif.
Entretemps, la BCEAO a adopté une régulation des fintech…
Effectivement, la BCEAO a initié un projet de formalisation des fintech, notamment par la réglementation qui est entrée en vigueur le 23 janvier 2024. Cette réglementation a pour objet de renforcer la sécurité des transactions financières digitales, de prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, mais surtout de protéger les utilisateurs finaux. C’est un signal fort que la banque centrale est en train d’envoyer à l’écosystème. Un signal qui veut dire que la banque centrale, mais aussi les États de la région tiennent compte de l’impact des fintech en Afrique de l’Ouest. Ils veulent donc participer à la réglementation et à la protection de l’écosystème, que ce soit au niveau des fintech que des utilisateurs finaux.
J’ai dit qu’en Afrique subsaharienne, le taux de bancarisation est très faible, mais le taux d’inclusion financière assez élevé. J’ai aussi dit que l’Afrique subsaharienne représente 66% des transactions financières digitales mondiales. Pourtant, selon le rapport « Africa, The Big Deal 2024 », les startups africaines ont levé plus de 2,2 milliards de dollars, et l’Afrique de l’Ouest, en tout cas la zone UEMOA, ne représente que 10% des fonds levés. Les plus gros fonds levés le sont par ceux qu’on appelle en anglais les usual suspects, qui sont les quatre grands pays qu’on considère comme leaders dans le domaine du digital, de l’innovation et des fintech, à savoir l’Egypte, le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya.
Je pense qu’il est temps que l’Afrique de l’Ouest se positionne en tant que leader sur ce domaine. Dans ce sens, les facteurs dont je viens de parler sont un signal fort. Je pense qu’il est temps pour notre région de mettre en place un cadre réglementaire pour pouvoir accélérer l’éclosion de champions nationaux et régionaux dans le domaine de la fintech. Donc, le sujet au cœur de Next Fintech Forum 2025 qui se tiendra à Dakar : « Bâtir une stratégie fintech régionale pour transformer les économies locales dans la durabilité et l’inclusion », est tout à fait d’actualité.
Quelle est votre réaction à la mise en service du système d’interopérabilité de la BCEAO le 30 septembre 2025 ?
Je pense que c’est une bonne nouvelle pour les utilisateurs finaux parce que vous savez, on a souvent tendance à critiquer nos institutions régionales. Mais, il y a un élément dont nous devons tenir compte, qui est un élément que beaucoup d’autres régions africaines nous envient. C’est la possibilité de faire des transactions financières sans se préoccuper de certains aspects, tels que le taux de change.
Pouvoir échanger, faire du commerce entre Dakar et Lomé ou entre Yamoussoukro et Ouagadougou, parce que nous avons une monnaie commune, c’est une force, c’est une chance, et c’est parce que nous avons une banque centrale régionale que nous avons cette possibilité dont nous profitons bien. Et, pour moi, ce qui est possible avec la monnaie fiduciaire, doit pouvoir l’être avec la monnaie digitale. Les populations devraient pouvoir profiter du fait que nous ayons une banque centrale régionale, que nous soyons une région communautaire financière avec plusieurs pays. Et l’un des objectifs est de favoriser les échanges entre les pays de la région. Donc, ce système d’interopérabilité va booster les transactions financières digitales entre les pays.
Ce système va aussi booster les échanges commerciaux. Ce qui aura forcément, selon moi, un impact sur les économies concernées par cette nouveauté qui, je pense, va permettre plus d’intégration, plus d’échanges financiers entre les pays de la zone UEMOA.
Ne pensez-vous pas que système va plutôt signer l’arrêt de mort des fintechs de la zone UEMOA ?
Vous savez, à chaque fois qu’il y a une nouvelle technologie, il y a un impact. C’est dans l’ordre normal de l’évolution de l’humanité de façon générale. Donc, oui, il y aura un impact. Cette nouvelle solution va induire une adaptation pour tous les acteurs, que ce soient les banques ou les fintechs. Je pense qu’au niveau des acteurs de banques, un travail a été fait pendant plusieurs années pour préparer la mise en place de ce système d’interopérabilité. Donc, la plupart des banques sont prêtes.
Le travail a été fait conjointement aussi avec les fintechs. Elles ont été associées pendant toutes ces années à ce projet. Aujourd’hui, plusieurs d’entre elles sont prêtes, à la fois les fintechs et les telcos. Au final, c’est quelque chose que nous devons tous apprécier. Maintenant, je pense qu’effectivement, certaines seront impactées de façon plus directe. Mais, ce sera à elles de s’adapter. Moi, je n’ai aucun doute dessus. Je suis persuadée que les fintechs de la zone BCEAO trouveront les moyens d’adaptation. Elles vont créer des solutions nouvelles qui vont s’adosser à cette nouvelle fonctionnalité pour permettre plus d’inclusion financière et fournir plus de nouveautés dans les services financiers de la région. Je suis assez confiante.
Quel sera, dans ce nouvel environnement, l’avenir des fintechs en Afrique de l’Ouest principalement ?
Je pense que notre zone représente un potentiel énorme. Moi, je travaille avec beaucoup de startups qui sont hors de la zone BCEAO. Et je peux vous dire que, par exemple, beaucoup de fintechs au Nigeria sont très intéressées à venir s’installer dans notre région. Elles ne le font pas juste, par hasard. C’est parce qu’elles ont bien compris qu’il y a un énorme potentiel et qu’il y a une adoption très forte des populations. Justement parce que le taux de bancarisation est assez faible, les populations africaines de notre région ont tout de suite compris que l’alternative des fintechs et des solutions digitales leur permettait d’accéder à ces services.
Donc, l’opportunité est là, le marché est là, tous les signaux sont au vert, les banques centrales sont en train de s’y mettre. Des activités telles que le Next Fintech Forum sont aussi des opportunités pour parler de certains aspects tels que le financement. Comment attirer plus de capitaux dans notre région pour enfin positionner la zone BCEAO comme une zone importante lorsqu’il s’agit de la finance digitale ? Ce sera l’occasion de discuter de tous ces aspects. Mais pour moi, l’avenir reste assez positif. Les fintechs qui sont en train de devenir des champions, deviendront des références à la fois dans notre région et au-delà sur le continent.
Qu’attendez-vous de l’édition 2025 de Next Fintech Forum ?
Ce que j’en attends, c’est d’avoir des participants importants. Vous savez, il y a beaucoup d’événements qui se passent sur le continent. On ne veut pas que ce soit un événement de plus. On veut que ce soit un événement qui soit marquant, avec des participants qui sont de vrais acteurs de l’écosystème pour sortir de là avec des actions concrètes, pour développer l’écosystème de notre région. Donc, ce que j’en attends, c’est d’avoir de bons participants. C’est aussi de parler des bons des sujets, peut-être de certains sujets qui fâchent. Je ne doute pas que certaines fintechs viendront probablement avec certaines plaintes, mais c’est normal. J’espère qu’on sortira de là avec des recommandations fortes pour avoir un cadre réglementaire qui sera propice à l’éclosion de plus d’innovations sur le continent.
Un dernier mot ?
Je voudrais remercier les organisateurs de l’événement et les féliciter. Je suis très impatiente d’y être et j’espère que ce sera un événement riche en échanges et en apprentissages. Comme je l’ai dit, nous sortirons de là avec des actions, des décisions fortes pour promouvoir l’écosystème et faire avancer les fintech et l’innovation dans la zone UEMOA. J’invite tous les acteurs de l’écosystème à s’inscrire et de s’assurer d’avoir une place et de venir en étant des acteurs actifs.
Interview réalisée par Mariam Gassama et Ornella Izaï




































