Pas de boutique. Pas d’enseigne. Pas de caisse. Juste un téléphone, une connexion, une voix. Et un rêve qui palpite, chaque matin, derrière l’écran d’un smartphone.
Des étals dans un smartphone : la boutique d’Awa, reine de WhatsApp
À Marcory, Awa ouvre sa journée comme d’autres ouvriraient leur magasin : elle aligne, dans les statuts WhatsApp, ses trésors du jour. Perruques soyeuses, sacs à main aux allures parisiennes, fards venus d’ailleurs. Son marché ne sent pas la poussière, ne bruisse pas de clameurs, mais il est là, tangible, vibrant. Dans ce silence numérique se négocient des bouts de vie.
Awa n’est pas une exception. Elle est une page parmi des milliers. Des femmes, souvent jeunes, parfois mères, toujours vaillantes, ont transformé les réseaux sociaux en échoppes virtuelles. Leurs marchés ? TikTok, Instagram, Facebook. Leurs outils ? Un téléphone, un éclairage, et cette intuition redoutable du lien humain.
Un commerce humain, immédiat et sans filtre
Mais ce commerce-là n’a rien à voir avec le e-commerce classique, aseptisé, programmé. Il n’est ni Jumia, ni Amazon. Il est instantané, informel, intime. Une main tendue dans le flux numérique. Une conversation qui débouche sur une vente. Une proximité, une confiance, un échange presque tribal.
Ce n’est pas une stratégie, c’est une adaptation. Une réponse à un monde qui, trop souvent, exclut les femmes de ses modèles dominants.
L’échec des géants, la revanche des femmes d’Abidjan
Le e-commerce, dans sa version occidentale, a échoué à s’enraciner ici. Trop de logistique, trop de distance, trop d’illusion de modernité. Les grandes plateformes sont parties — Yatoo, Afrimarket, Cdiscount — laissant derrière elles une terre fertile que les femmes d’Abidjan ont cultivée avec pragmatisme.
Elles ont inventé autre chose. Une économie de proximité à distance. Une vente sans boutique. Un métier sans diplôme.
Un commerce sans vitrine, mais pas sans valeur.
Elles vendent, oui. Mais surtout, elles reprennent du pouvoir.
Dans ce marché dématérialisé, elles choisissent leurs horaires, fixent leurs prix, parlent d’égale à égale avec leurs clientes, livrent elles-mêmes ou font appel à ces jeunes livreurs en moto, compagnons discrets d’un écosystème nouveau.
Le paiement ? À la livraison. La confiance ? À chaque transaction.
La dignité ? Dans chaque colis remis.
Loin des discours technophiles des grands salons, la révolution numérique se tisse au creux des doigts. C’est une révolution silencieuse, féminine, urbaine. Un soulèvement doux porté par celles qu’on entend rarement, mais qui bâtissent, chaque jour, une économie parallèle, résiliente et lucide.
Et si demain, le visage du commerce africain était celui d’une femme en pagne, tenant son téléphone comme d’autres tiennent un étendard ? Alors ce marché-là, sans trottoir ni boutique, aurait bien plus qu’un avenir. Il aurait une âme.