Régis Bamba, co-fondateur de la fintech ivoirienne Djamo, avec Hassan Bourgi, a accordé une interview au confrère Agence Ecofin. Réglementation BCEAO des fintech, bancarisation, inclusion financière, défis et opportunités, etc., tout y passe. Quelques morceaux choisis.
Réglementation BCEAO
Ce processus n’a pas démarré récemment. Cela fait deux ans que le sujet est sur la table, avec pas mal de pédagogie de la part du régulateur. Les fintechs ont eu le temps de s’y préparer. Ce qui s’est passé dernièrement au Sénégal est peut-être soudain dans sa forme, mais reste cohérent avec les annonces de la BCEAO. De notre côté, nous étions prêts. Nous avons pris les devants, fait le nécessaire, et nous n’avons pas été impactés par ces suspensions.
Malheureusement, certaines fintechs ont été touchées malgré leur volonté de se mettre en règle, mais la BCEAO commence à régulariser leur situation. Des agréments ont été délivrés récemment à celles qui étaient dans les clous. Il faut aussi noter que cette situation ne concerne que le Sénégal. Les autres pays de l’UEMOA n’ont pas été particulièrement affectés. À mes yeux, c’est un passage obligé pour structurer l’écosystème. La BCEAO est plutôt ouverte à l’innovation, comparée à d’autres zones. Mais comme il s’agit d’argent, il est normal d’avoir un cadre rigoureux.
Djamo concurrente des banques ?
Djamo ne se positionne pas contre les banques. Nous ne sommes pas concurrents, mais partenaires. Notre objectif est de créer un pont entre les banques et les populations. Là où les banques n’ont pas toujours la souplesse pour atteindre certains publics, nous apportons une solution technologique qui facilite l’accès à leurs services. Tous nos produits sont d’ailleurs développés en partenariat avec des banques, conformément à la régulation de l’UEMOA.
Ce qui fait notre force, c’est une expérience client fluide, sans paperasse, sans frais cachés, avec un support disponible 24/7. Nous contribuons aussi à l’éducation financière en aidant les clients à découvrir des services bancaires au-delà du simple mobile money. Ce dernier reste utile, mais limité : dépôts, retraits, transferts. Pour une inclusion financière complète, il faut aller plus loin : accès au crédit, à l’investissement, à l’épargne. Djamo est un acteur complémentaire, agile, capable de travailler avec les banques et avec les fintechs, pour améliorer l’inclusion et l’éducation financière.
Solutions Djamo pour les PME
Les PME (…) aimeraient bénéficier de la simplicité de Djamo pour leurs entreprises. Aujourd’hui, ouvrir un compte courant pour une société est encore trop compliqué et frustrant. Et dans notre base d’utilisateurs, on observe un segment d’entrepreneurs informels – ceux qui ont un emploi, mais développent aussi une activité à côté, ce qu’on appelle ici un « gombo ». Avec le temps, ces activités se professionnalisent et ces entrepreneurs veulent pouvoir faire grandir leur entreprise avec des outils plus adaptés.
Notre défi, c’est donc de leur proposer des solutions professionnelles, tout en conservant la flexibilité qui fait la force de Djamo. Mais on avance prudemment : on veut bien comprendre leurs besoins, et surtout s’assurer qu’on dispose du cadre réglementaire adéquat pour proposer ces offres. C’est une évolution naturelle pour nous, car notre clientèle évolue aussi. On veut donc adapter notre simplicité au monde de l’entreprise – mais ce sera progressif.
Facteurs de développement de l’écosystème fintech ivoirien
Plusieurs tendances l’expliquent. D’abord, l’accès à internet s’est nettement amélioré. Les prix ont beaucoup baissé, ce qui a permis à un plus grand nombre de personnes de se connecter. Ensuite, les smartphones sont devenus beaucoup plus abordables (…) Les gens sont de plus en plus connectés. Certains événements se déroulent entièrement en ligne, et la pandémie de Covid a accéléré cette digitalisation. Même nos parents et grands-parents sont désormais à l’aise avec WhatsApp ou les appels vidéo.
À cela s’ajoute un environnement réglementaire relativement favorable à l’innovation. La BCEAO joue un rôle facilitateur. Le passage du cash au mobile money a été rapide, et aujourd’hui, on peut quasiment tout payer avec son téléphone. Cette adoption massive prépare le terrain pour la prochaine étape : la banque digitale. Les gens veulent aller au-delà du simple dépôt ou retrait. Ils commencent à se poser des questions sur l’épargne, l’investissement, l’accès au crédit, etc. Cela crée une demande à laquelle les innovateurs peuvent répondre. Enfin, il y a un contexte économique et politique relativement stable en Côte d’Ivoire. C’est un vrai facteur d’attractivité.
Ecart entre fintechs francophones et fintech anglophones
Les marchés (anglophones) sont plus matures que les nôtres. Ils ont pris de l’avance, sans doute parce qu’ils ont osé prendre certains risques plus tôt. Résultat, leur écosystème a évolué plus rapidement. Et comme il n’y a pas de barrière linguistique, les investisseurs internationaux s’orientent vers ces pays. Ce sont aussi de grands marchés : Nigeria, Kenya, Ghana… Cela leur donne une attractivité. Mais la tendance évolue. Dans la zone CFA, nous avons des environnements économiques plus stables, sans dévaluation monétaire, ce qui rassure les investisseurs. Et ces derniers commencent à en prendre conscience. À nous d’être à la hauteur.
Il faut proposer des solutions innovantes, solides et pérennes, capables de convaincre les investisseurs. Je suis convaincu que c’est un mouvement qui va s’amplifier. Chez Djamo, on commence déjà à voir cette dynamique. Certains de nos collaborateurs sont inspirés au point de vouloir lancer leur propre entreprise, que nous pourrons accompagner. Cela crée un écosystème vertueux, dans lequel d’autres fintechs viendront se greffer. Dans 5 ans, je suis persuadé que l’Afrique francophone aura considérablement gagné en maturité, au point de peser très lourd dans la tech africaine.
Djamo face à la concurrence des autres fintechs
La vraie concurrence, ce n’est pas une autre fintech : c’est le cash. Aujourd’hui, 80 % des transactions en Afrique subsaharienne se font encore en espèces. Cela veut dire que nous avons un terrain immense à conquérir, et qu’il y a de la place pour plusieurs acteurs. En général, on ne se marche même pas sur les pieds, chacun allant chercher un segment non encore converti.
Bien sûr, certains avancent plus vite, mais cela ne menace pas nécessairement les autres. Chez Djamo, nous misons sur la collaboration. Il y a des enjeux cruciaux comme la sécurité des transactions, la protection des données ou encore la lutte contre la fraude. Ce sont des défis qu’aucune fintech ne peut relever seule. Nous avons donc choisi d’ouvrir notre plateforme à d’autres acteurs, pour créer un écosystème intégré. Ce modèle coopératif est la meilleure voie pour faire progresser l’inclusion financière.
M. Bruno
(Source Agence Ecofin)