Entre l’Instruction 01-01-2024 de la BCEAO et la Plateforme interopérable de système de paiement instantané (PI-SPI), les fintech sont à la croisée des chemins. Elles vont devoir innover ou mourir…
L’étau se resserre autour des fintech de l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaines (UEMOA). Elles sont prises entre le marteau de la conformité à l’Instruction 01-01-2024 de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et l’enclume de la plateforme d’interopérabilité que celle-ci a développée, et mise en service le 30 septembre 2025.
Le marteau de l’Instruction No 01-01-2024 de la BCEAO
D’un côté, l’Instruction n°01-01-2024 de la BCEAO est une injonction faite aux Établissements de paiement (EDP) et aux fintechs. Elle exige que les fintech soient officiellement agréées par elle pour continuer à exercer. Et cet agrément s’obtient sous certaines « conditions dont l’une est d’avoir un capital social de 10 millions FCFA pour la plus petite formule de licence, et 100 millions FCFA pour la plus grande formule de licence », explique Alex Sea, président de l’Association des fintech de l’UEMOA.
Sauf qu’une difficulté se dresse sur le parcours de cet agrément. « Un fondateur de startup me disait qu’il a dépensé plus de 30 millions FCFA pour se conformer. C’est beaucoup d’argent pour une fintech », déplore Alex SEA. « Mais, ce n’est pas quelque chose qu’on repousse », nuance-t-il. De l’avis d’experts, la réglementation du secteur de la fintech dans la zone UEMOA n’est pas contre-productive. « Elle vient, au contraire, mettre de l’ordre dans un secteur, une activité exercée, jusque-là, un peu de façon pas très transparente ou, en tout cas, pas très visible », reconnait Luc KPENOU, expert des systèmes de paiement et des services financiers digitaux.
De gros fonds passent par les fintech, les réguler, c’est bien
Pour lui, cette réglementation définit clairement le rôle de chaque acteur. « On ne peut pas se lever un matin et se faire appeler fintech. Il faut avoir été d’abord agréé par la banque centrale. Pour moi, le signe de la maturité, c’est que l’écosystème fintech est reconnu comme un écosystème systémique par les régulateurs et les autorités nationales. On ne peut plus s’aventurer dans le secteur et faire n’importe quoi. Beaucoup de fonds passent par les fintech. Il est important de les réguler (…) Quand il n’y a pas de réglementation, c’est dangereux », prévient Luc KPENOU.
Sur le caractère contraignant de l’Instruction de la BCEAO et les montants élevés à payer pour obtenir la licence, l’expert des systèmes de paiement et des services financiers digitaux ne voit aucune autre alternative. « Oui, la réglementation est contraignante. Mais, à partir du moment où de l’argent transite par vous (fintech), et ce ne sont pas de petits montants, on parle de plusieurs milliards de FCFA, il faut protéger les consommateurs et il faut protéger les acteurs également (…) pour que demain, il n’y ait pas de problème majeur pour la société. Les fintech qui n’ont pas anticipé vont être perturbés, mais, on ne peut pas mettre de côté la régulation parce qu’elle fixe des contraintes. Il faut se conformer », dit-il.
D’ailleurs, elles s’y mettent. Au 27 mai 2025, 11 fintech avaient déjà obtenu leur agrément, conformément à la nouvelle réglementation adoptée le 23 janvier 2024. Ce sont INTOUCH (Burkina Faso) ; SYCA SA, TOUCHPOINT Financial Services SA, FIRSTCOM Global Paiements SA, JULAYA (Côte d’Ivoire) ; INTOUCH (Mali), IFUTUR SA (Niger) ; DUNYA Digital Paiement SA, MIKATY SA, BICTORYS SA, FLUTTERWAVE SA (Sénégal). D’autres ont, entretemps, rejoint le groupe.
L’enclume de la Plateforme interopérable de système de paiement instantané (PI-SPI)
De l’autre côté, la Plateforme interopérable de système de paiement instantané (PI-SPI), développée par la BCEAO et mise en service depuis le 30 septembre 2025. Sur cette plateforme, toutes les institutions financières agréées de l’UEMOA – les banques, les fintechs, les institutions de microfinance et les opérateurs de monnaie électronique c’est-à-dire Orange, MOOV et MTN Money sont connectées. C’est une infrastructure unique et centrale. Les implications sont multiples. Quelles sont-elles ?
Quel que soit le compte détenu auprès d’une banque, d’un émetteur de monnaie électronique (EME), une microfinance ou un établissement de paiement, les usagers peuvent effectuer des transferts et des paiements vers le compte de leurs bénéficiaires, même si l’institution financière de ce dernier est différente de celle de l’expéditeur. Autrement dit, si vous avez un compte dans une banque, sur mobile money (Orange, MTN, Moov, Wave), à la COOPEC et à Baobab…, vous pouvez envoyer et recevoir de l’argent, faire des paiements, vers une banque, un opérateur mobile money, une microfinance, autre que le vôtre sans frais ou presque.
En pratique, on devrait pouvoir envoyer de l’argent d’Orange vers MTN, Moov et Wave, de Moov vers Orange, MTN et Wave, de MTN vers Orange, Moov et Wave, et de Wave vers Orange, MTN et Moov à moindre coût. C’est pareil entre banques et entre établissements de microfinance. Un mois que ce système est en service. Si entre mobile money et banques, le système fonctionne, ce que le grand peuple attend, c’est l’interopérabilité entre les opérateurs du mobile money. Ici, les usagers attendent toujours. Selon des sources, les opérateurs y travaillent. Mais, une fois que « ce travail » sera achevé, les fintech vont se heurter à un nouveau défi.
Fini les agrégations de paiements ?
C’est que pendant longtemps, les fintech se sont concentrées sur l’agrégation de paiements. « Aujourd’hui, avec la plateforme d’interopérabilité, ça n’a plus de sens. Et, avec la réglementation sur les services de paiement, il faut changer (…) trouver de nouveaux usages qui répondent aux besoins d’inclusion financière, aux besoins des populations, et apporter de la plus-value. Donc, il faut aller vers de nouvelles niches, celles qui touchent à la Big world, celles qui facilitent les transactions au quotidien et qui permettent aux usagers d’avoir des solutions à leurs frictions quotidiennes », recommande Luc KPENOU.
Une chose est sûre, à la 7ème édition de Next Fintech Forum les 19 et 20 novembre 2025, à Dakar, au Sénégal, les spécialistes de ces problématiques vont se retrouver et faire des constats. Mais, ce que les acteurs de la fintech attendent, ce sont des solutions, les niches à explorer. Une nouvelle ère s’ouvre. Et c’est au pied du mur qu’on verra les vrais innovateurs.





































