La grève du secteur du mobile money en Côte d’Ivoire crée un gros préjudice aux consommateurs. Wave est le principal accusé. « Ils sont la cause de nos malheurs », pestent les marchands des points de vente.
Les marchands du mobile money de Côte d’Ivoire sont en grève, depuis le 9 août 2022. C’est la deuxième grève en l’espace de deux mois. La première a été observée les 2, 3 et 4 juin 2022. Selon le président de leur association l’Amimomoci, Sidibé Aboubacar, que nous avons joint par téléphone, la fermeture des points de mobile money est amplement justifiée.
Wave bouleverse la tarification
« Elle est consécutive au bouleversement de notre secteur d’activité par l’irruption de Wave sur le marché », dit-il. C’est que depuis l’entrée sur le marché de cet opérateur, les coûts des transactions ont fortement chuté. « Quand Wave est arrivé, ils ont cassé les prix. Tous les frais de retrait sont tombés à 1%. Par le passé, avec les opérateurs traditionnels Orange, MTN et Moov, pour 10.000F, par exemple, les frais étaient à 700F. Les opérateurs gagnaient gros, certes, mais nous aussi, on avait une bonne marge pour assurer nos charges », rappelle Sidibé Aboubacar.
« Non content d’avoir cassé les prix, Wave en rajoute », renchérit Félix Coulibaly, président du Syndicat national des propriétaires des points de vente mobile money de Côte d’Ivoire (Synamci). Le 1er juin 2022, l’entreprise décide d’introduire une nouvelle grille de rémunération qui réduit le montant des commissions versées aux exploitants de points de vente mobile money.
« Quelqu’un qui percevait 2400 FCFA, pour un palier de transaction atteignable facilement par les prestataires, se retrouve avec 1350 FCFA de commission dans la nouvelle grille de rémunération. Alors que vous pouviez vous retrouver avec 4600 FCFA, vous ne percevez plus que 2675 FCFA », détaille Félix Coulibaly.
Le système du « partage de revenus » en cause
« Lorsque Wave a réduit les commissions que nous percevions, elle a instauré un nouveau système qu’elle nomme « partage de revenu. Mais, pour nous ce n’était pas transparent au-delà du fait que nous n’avions aucun regard dessus. Nous l’avons rejeté », ajoute-t-il.
Ailleurs, « avec Orange Money, il faut atteindre un volume transaction journalier d’1 million de FCFA pour percevoir une rémunération de 4387F. Les transactions intermédiaires ne sont pas rémunérées. Autrement dit, si vous faites 100.000F par jour, Orange ne vous paie rien. Quant à MTN et Moov, ils paient par transaction. Mais, là encore, ce n’est pas suffisant », précise Sidibé Aboubacar. « Raison pourquoi nous avons instauré des frais de service de 100F pour attirer l’attention, mais rien n’y fait, nos préoccupations ne sont toujours pas prises en compte par les autorités compétentes du pays », regrette-t-il.
Soutenus par ses camarades de lutte, Sidibé Aboubacar engage, toutefois, de nouvelles discussions avec l’ensemble des opérateurs, les anciens et le nouveau, le ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, afin de définir une marge bénéficiaire consensuelle, dans l’intérêt de toutes les parties.
« Seul Wave ne facilite pas les discussions… »
« Mais, là encore, Wave fait des difficultés. L’entreprise ne facilite pas du tout les négociations, seul Wave ne facilite pas les négociations. Nous avons été reçus par le ministre de l’Emploi et de la protection sociale, on n’a pas pu s’accorder. L’affaire a été portée chez le Premier ministre, à l’issue de la première grève de juin 2022. Et depuis, nous n’avons pas de suite », déplore le président de l’Association.
Félix Coulibaly enfonce le clou : « C’est l’entêtement de Wave à appliquer son nouveau modèle de « partage de revenu », finalement annulé lors de la réunion du 17 juin entre les différents syndicats du segment du paiement mobile, les sociétés télécoms, Wave et le ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, qui a tout d’abord donné lieu à une grève de certains exploitants de points de vente mobile money du 2 au 4 juin ».
1% de frais de transaction, la vraie pomme de discorde
« La grève que nous observons en ce moment en est la suite logique. Mais, le fond du problème, c’est que nos commissions sont vraiment faibles. Wave arrive en 2021, il casse les prix à 1% sur tous les frais de retrait. Donc, sur 5000F, les frais sont à 50F, sur 10.000F, ils sont à 100F. Pour ne pas perdre leur clientèles, Orange, MTN et Moov s’alignent sur ces nouveaux prix imposés par la concurrence de Wave. A partir de ce moment, nos problèmes commencent », souligne Sidibé Aboubacar.
« Selon vous, sur 100F, combien les opérateurs télécoms vont prendre, et combien, nous les marchands, on va prendre ? Vous ne faites peut-être pas attention mais les points de vente mobile money sont en train de fermer, les marchands du secteur sont en souffrance, nous n’arrivons plus à faire face à nos charges », fait-il remarquer.
« Ce que nous souhaitons, c’est l’ouverture de nouvelles négociations dans de nouvelles dispositions d’esprit. Il ne faut pas que les opérateurs télécoms cherchent à nous imposer des choses. Orange Money et Wave paient par volume de transaction. Nous voulons qu’ils fassent comme MTN et Moov qui paient par transaction. Sur la marge des différentes parties par transaction, on peut toujours s’entendre dans l’intérêt de tous », suggère le président de l’Amimomoci.
Les opérateurs télécoms Orange, MTN et Moov muets
Face aux accusations, les opérateurs télécoms restent muets. Le service de communication de MTN que nous avons joint par téléphone s’est refusé à tout commentaire : « Nous attendons l’autorisation de la direction générale avant de pouvoir répondre votre préoccupation ».
Pendant ce temps, les populations pâtissent de la guerre entre opérateurs et marchands du mobile money. Durant trois jours, elles ont souffert de cette « guerre autour des marges bénéficiaires ». Elles ne sont d’ailleurs pas au bout de leur peine puisque, selon les marchands de mobile money, « si nous n’avons pas d’oreilles attentives à nos préoccupations, la grève sera reconduite ».
Trait sur fait : le digital et le numérique, ça facilite la vie. Mais, pour la compliquer et la « pourrir », ils savent aussi le faire !
K. Bruno