La donnée est l’élément central en intelligence artificielle. Y avoir accès est cependant un défi que l’Afrique a du mal à relever. Et les start-ups en pâtissent. Fatim Cissé est la première femme ivoirienne diplômée en intelligence artificielle.
Invitée à participer à un panel sur la digitalisation des services, en marge de la présentation du 12ème rapport de la Banque mondiale sur l’économie en Côte d’Ivoire, elle a fait un plaidoyer.
Permettre aux start-ups africaines de développer plus rapidement
« Celui d’avoir des outils de collecte de données qui vont permettre aux start-ups africaines de développer plus facilement et plus rapidement des logiciels en réponse à nos habitudes propres, et pas seulement se contenter, comme on le fait, d’utiliser des applications existantes dans d’autres pays occidentaux ».
La donnée irrigue l’intelligence artificielle
L’entrepreneure fondatrice de DUX Côte d’Ivoire et directrice de IHS Towers Côte d’Ivoire sait de quoi elle parle. En intelligence artificielle, son secteur d’activité digitale, la matière première, le sang qui irrigue les vaisseaux ou les câbles, c’est la donnée. Il se trouve, malheureusement, dit-elle, « que l’Afrique est en retard dans tout ce qui est production d’intelligence artificielle parce qu’elle n’arrive pas à appréhender un enjeu important, celui de la donnée ».
Or, les applications et logiciels reposent sur la donnée. Raison pourquoi les grandes entreprises américaines ont une avance indéniable dans la production d’intelligence artificielle. Par exemple, Google et Facebook parviennent à prédire le comportement humain parce qu’elles ont accès à des volumes inestimables d’informations (données) sur les habitudes humaines. Plus simplement, à chaque fois que nous ouvrons les pages de ces entreprises, elles analysent nos us et usages.
« En Afrique, la digitalisation n’a pas été faite en anticipation… »
Dès lors, elles savent ce qu’on pense, ce qu’on fait, ce qu’on consomme, etc. Il s’ensuit qu’elles disposent d’éléments pertinents pour prévoir et anticiper sur nos besoins spécifiques. Selon Fatim Cissé, toutes ces informations facilitent leur capacité à concevoir des logiciels ou applications extrêmement pointus en intelligence artificielle, pour ensuite nous faire des offres alléchantes.
Tout le contraire de la pratique en Afrique où « même quand la donnée existe, elle est difficile à exploiter, parce que la digitalisation n’a pas été faite en anticipation à ce genre de procédures », regrette la patronne de DUX. En conséquence, ajoute-t-elle, « une start-up qui se lance, par exemple, dans une application ou logiciel va devoir passer plus de temps à collecter les données, à les analyser pour parfaire son logiciel ou son application ».
« Mais, tout n’est pas perdu… »

« La difficulté d’accès à la donnée de qualité s’ajoute ainsi aux problèmes d’infrastructures numériques, d’accessibilité à la connexion internet, de déficit de compétences, etc. Tous ces effets conjugués nous font accuser un retard dans le développement de l’intelligence artificielle », alerte Fatim Cissé. « Mais tout n’est pas perdu », s’empresse-t-elle de relever.
« Des exemples de succès africains existent, j’espère bientôt de succès ivoiriens, dans le développement de l’intelligence artificielle qui répondent à nos besoins spécifiques », souligne-t-elle. L’un de ces succès en intelligence artificielle est probablement Orange Bank dont le directeur Jean-Louis Menann-Kouamé, participant au panel, a partagé son expérience en termes de collecte de données.
« Dans le modèle de banque digitale, tel que nous le portons, nous avons accès à de la donnée de qualité », nuance-t-il les observations alarmistes de Fatim Cissé.
Accès aux données : le modèle Orange Bank
« Nous prêtons à des clients familiers à Orange Money ou clients d’Orange Télécom. Ils nous donnent leur consentement préalable pour avoir accès à leurs données de sorte à pouvoir analyser leur profil de risques. C’est ainsi que nous arrivons à faire la différence entre deux demandeurs de crédit de 300 mille francs, à identifier celui qui est le plus susceptible de nous rembourser en temps et en heure, et celui qui est moins susceptible de le faire », explique-t-il.
La traduction dans les faits suit : « C’est ainsi que nous prêterons 300 mille francs à celui qui est le moins risqué, nous prêterons 20 mille francs à celui que nous pensons être plus risqué. Ça, on le doit à la donnée. Nous triturons des millions d’informations en quelques secondes pour arriver à des décisions d’octroi de crédit ». « Mais Mme Cissé a raison de le relever, la donnée de qualité permet d’accélérer le mouvement sur notre écosystème », atténue le patron d’Orange Bank.
En Afrique, les sages, pour régler un conflit, ont une formule ramenant dos à dos les protagonistes : « tu as raison, mais il n’a pas tort… » Une façon intelligente de faire de l’intelligence naturelle, que dis-je, de l’intelligence artificielle !!!
K. Bruno