Jean Delmas Ehui est le directeur général de ICT4DEV, une startup spécialisée dans le développement et l’intégration de solutions numériques et technologiques en direction des acteurs des chaines de valeur agricole. Pour lui, le premier défi à relever pour le développement des startups en Côte d’Ivoire, c’est l’adoption d’une loi spécifique à cet écosystème.
Pour vous, qu’est-ce qu’une startup ?
Pour moi, une startup, c’est d’abord une entreprise qui possède une certaine souplesse, une agilité. Elle part d’une idée, d’une innovation sans forcément un modèle économique solide. On va dire, une jeune entreprise « qui se cherche encore ». Toutefois, elle a besoin d’aller rapidement sur le marché avec sa solution pour la confronter aux besoins, et continuer de l’améliorer. Les startups ont du potentiel de croissance. C’est d’ailleurs sur ce potentiel qu’on les juge. On sait qu’on a en tête une idée qui va « prendre ».
Et qu’est-ce qu’une startup nation ?
C’est un terme un peu générique pour identifier les nations qui ont compris que l’économie numérique est primordiale dans leur développement. Ces nations ont mis tout en œuvre pour avoir un fort potentiel de startups. Si vous avez 10 ou 20 grandes startups, vous devenez une startup nation.
Comment se porte l’écosystème des startups en Côte d’Ivoire ?
L’écosystème des startups est en pleine évolution. Je ne dirai pas qu’elle se porte bien, mais elle se porte mieux. Je suis l’un des pionniers. J’ai créé ma première startup en 2014. Huit ans après, il y a eu une floraison de startups. Toutefois, seules les plus sérieuses et les plus résilientes ont continué. D’autres sont reparties dans le privé, faire leurs marques, et sont revenues. Aujourd’hui, on a quand même une organisation, des incubateurs. On a aussi un écosystème qui est en train de se mettre en place, on travaille sur la Loi startup, un outil important pour les startups en Côte d’Ivoire.
En tant que pionnier, d’où vous est venue l’idée de lancer votre startup dans l’agri-tech ?
L’idée est venue après plusieurs constats. J’ai eu la chance de travailler en zone rurale à partir de 2007, et j’ai constaté que les projets sur lesquels je travaillais n’étaient pas en adéquation avec les besoins des communautés. On restait à Abidjan ou en Europe, et on concevait des projets. On pensait pouvoir faire plaisir aux gens à leurs places. Moi, j’ai fait l’inverse. J’ai écouté les populations. En fonction de leurs besoins, de leurs ressentis, de leur niveau de compréhension de la technologie et aussi de mon background en tant qu’ingénieur en science informatique, je me suis dit : je peux apporter quelque chose. Je n’étais pas écouté dans les structures où je travaillais. Donc, j’ai décidé de partir. J’avais un bagage de projets, j’avais des idées, une vision assez claire. Ainsi a commencé l’aventure.
Quels sont, selon vous, les défis pour développer l’écosystème des startups en Côte d’Ivoire ?
Le premier défi pour développer l’écosystème de startup en Côte d’Ivoire, c’est la Loi startup. Il faut que cette loi soit rapidement votée et promulguée pour qu’au moins les startups aient un cadre juridique. Quand vous voulez créer une entreprise, et que vous allez au CEPICI, il n’y a pas de facilités accordées aux startups. Lorsque vous démarrez les impôts sont sur votre dos. Il n’y a pas de label startup ivoire, il n’y a pas de mesures d’accompagnement. Or, ces deux éléments sont importants. Donc, il faut cette loi, et de bonnes structures d’accompagnement.
Y a-t-il suffisamment d’incubateurs et d’accélérateurs de start-up en Côte d’Ivoire ?
Je dirai qu’on n’a pas encore un nombre assez élevé d’incubateurs et d’accélérateurs pour développer notre écosystème. La Côte d’Ivoire a du potentiel. Sauf que tout est concentré à Abidjan. Il faut décentraliser les incubateurs dans chacune des régions pour capter les idées d’innovation depuis les communautés. Il faut aussi et surtout de vrais incubateurs et accélérateurs pour l’éclosion de projets nouveaux.
Quelles sont les opportunités pour les startups d’innovation numérique ?
Les opportunités sont multiples. Vous savez, avec le numérique, il y a beaucoup plus d’avantages. Vous pouvez être étudiant à Harvard ou à Nangui Abrogoua, mais face au numérique, vous partagez les mêmes chances et opportunités.
Quels sont les besoins des startups en matière de financement ?
Le financement n’est pas la priorité. Il faut d’abord que votre projet réponde à un besoin dans votre communauté, c’est cela le plus important.
Quelle est votre actualité, activités/projets en cours ou récent ?
Actuellement, ICT4DEV travaille sur deux projets majeurs avec le ministère des Ressources animales et halieutiques. Il s’agit, d’abord, du système de marché de bétail, viande en Côte d’Ivoire. Ensuite, le système d’enregistrement des transactions bord-champs dans la filière café-cacao, fruit d’un partenariat avec le Conseil café-cacao. Ce système sera rattaché à la carte du paysan.
Un mot pour terminer ?
J’encourage la jeunesse, il y a de l’espoir. On a vu une vidéo des migrants, c’était vraiment triste. On a un beau continent, une belle jeunesse. Nous sommes intelligents, il y a du potentiel. Il suffit juste de s’appuyer sur les opportunités qu’offre le numérique pour développer notre continent.
Interview réalisée
Par Abou Kam
Col : Nouty Aida Soro