Quand la technologie se met au service de la finance, les consommateurs gagnent. Quand on y ajoute la concurrence, ils gagnent gros. Dans tous les cas, opérateurs et consommateurs, chacun y trouve son compte. Pas forcément dans les mêmes proportions.
Dans un communiqué en date du 26 octobre 2021, l’autorité de régulation des télécoms en Côte d’Ivoire « se réjouit de la dynamique concurrentielle sur ce marché [du mobile money] qui concourt efficacement à l’inclusion financière de nos populations, dans un contexte marqué par la lutte contre la cherté de la vie ». Orange, MTN et Moov, les opérateurs traditionnels du mobile money, viennent alors de céder aux assauts concurrentiels de Wave.
Wave bouscule les opérateurs historiques
La start-up américaine Wave prend le contrepied des grilles tarifaires complexes des opérateurs historiques. Elle offre à ses clients la gratuité des opérations de dépôt et de retrait d’argent, ainsi qu’un taux fixe de 1 % sur les transferts nationaux. « Ce sont mes enfants qui m’ont informée qu’il y a un nouveau moyen de transfert d’argent qui a cassé les prix. Je n’y croyais pas. Pour moi, c’était une nouvelle forme d’arnaque, comme on a l’habitude d’en voir avec internet. Plus tard, quand j’ai compris que c’était sérieux et crédible, j’ai aussitôt arrêté de faire des transferts par Orange et MTN », se souvient Denise K., institutrice dans un établissement public de Mpouto dans la commune de Cocody Abidjan.
Nous sommes en février 2021. Là où Orange, MTN et Moov, les trois grands opérateurs locaux, taxent entre 3 et 10 % les transactions mobile money, Wave propose 1%. « Pour envoyer 10 mille, il fallait payer des frais de 700F par Orange, MTN ou Moov money. Avec Wave, pour 10 mille, je paie désormais 100F. Il n’y a pas photo, j’ai viré à Wave », précise Thérèse Kouakou, éducatrice préscolaire à Anono. Grâce à une carte ou une application, les utilisateurs Wave réalisent dorénavant un gain considérable, en termes de frais de transfert.
L’équilibre des prix des transactions
« Moi, c’est Wave ou rien ! », s’exclament des consommateurs sur les réseaux sociaux. Ils menacent d’abandonner les opérateurs traditionnels, accusés d’appliquer des tarifs trop chers. Les clients ne s’arrêtent plus aux boutiques ne disposant pas de l’enseigne Wave. Le gouvernement ivoirien laisse jouer la concurrence. La tornade Wave balaie tout sur son passage. « Elle ne mise pas sur les gros montants, mais sur le nombre de transactions effectuées. La stratégie, c’est de casser les prix, gagner des parts de marché puis de se diversifier sur le long terme », analyse Cheikh Ndiaye, consultant en fintech pour la Société financière internationale (SFI), branche de la Banque mondiale.
Orange, MTN et Moov sont bousculés dans leurs fondations les plus solides. Dans un premier temps, ils multiplient les offres promotionnelles sans pour autant baisser leurs prix. Mais, entre août et octobre 2021, ils cèdent et s’alignent sur les tarifs du nouveau venu. Depuis, la guerre est déclarée. Les opérateurs traditionnels s’opposent aux propositions de partenariat. Wave est empêché de distribuer du crédit téléphonique via leur plate-forme.
La marge des distributeurs s’effondre
Sauf que casser les prix fait des victimes. Principalement les distributeurs dont la marge s’effondre. « Ce n’est pas évident pour les entrepreneurs comme moi, car avec la gratuité du service, nous touchons moins de commissions, certains ont même dû fermer boutique. Wave s’est imposé, et ne nous a pas laissé le choix », lance, d’une traite, Maryse Kouadio, distributrice à Angré Terminus 82.
Même si Orange et les autres se sont alignés, la majorité des clients demandent les services de Wave. « Je crois qu’ils veulent punir les anciens d’avoir pratiqués des tarifs aussi élevés pendant près de deux décennies. Ou alors, ils sont si reconnaissants à Wave, qu’ils continuent de lui exprimer leur gratitude. En tout cas, chez moi, les clients sont plus Wave que les autres », renchérit Maryse Kouadio.
Certains experts en fintech s’interrogent, cependant, sur la viabilité du modèle Wave qui risque de mettre des années avant d’être rentable. D’autres craignent que la guerre des prix entre opérateurs affecte la valeur du marché et fragilise, par ricochet, ceux qui en dépendent. « La valeur du marché a été divisée par quatre [au Sénégal] » depuis que les prix ont chuté sous la pression de Wave, affirme Cheikh Tidiane Sarr, directeur d’Orange Money Sénégal. Selon lui, les distributeurs qui « n’ont pas les reins solides vont disparaître ». Les mêmes craintes s’expriment en Côte d’Ivoire.
Baisse des chiffres d’affaires des opérateurs traditionnels
Il n’y a pas que les distributeurs que la vague du Pingouin déstabilise. Les opérateurs traditionnels connaissent une baisse drastique de leurs chiffres d’affaires. « Parlant du bilan, l’année 2021 a été très bonne pour MTN Côte d’Ivoire. Nous nous sommes distingué par la croissance de notre activité : 15% à la fin du premier semestre, un affaiblissement de 13% au troisième trimestre pour terminer à 10% à la fin de l’année. Cette baisse en fin d’année est due au changement majeur du marché de la Fintech en Côte d’Ivoire. Notamment la baisse significative des tarifs des services du mobile money », admet le directeur général de MTN Côte d’Ivoire, Djibril Ouattara.
Orange affiche, elle, une sérénité de façade. « Nous avons un écosystème de services très large qui n’a rien à voir avec celui de nos concurrents », indique Cheikh Tidiane Sarr, en allusion aux services de paiements en ligne et de microcrédit pour lesquels l’entreprise estime avoir un temps d’avance sur son rival américain. Moov reste silencieux. De son côté, Wave affirme que l’augmentation du volume des transactions permettra à chacun d’y trouver son compte.
Le consommateur final, le grand gagnant
Tout compte fait, l’arrivée de Wave a provoqué des pertes sensibles chez les opérateurs traditionnels et les distributeurs. Le grand gagnant de la guerre des prix est donc le consommateur final dont la bourse est soulagée. En termes de frais de transfert d’argent.
K. Bruno