Laurent Dusseau est professeur à l’Université de Montpelier, directeur de la Fondation Van Allen et du Centre spatial de l’Université de Montpelier (CSUM). Dans cette interview exclusive à Digitalmag.CI, il révèle que des étudiants africains fabriquent des satellites. Plus largement, il explique comment le satellite, lié à l’intelligence artificielle, peut apporter de la valeur ajoutée à l’économie d’un pays en voie de développement comme la Côte d’Ivoire.
Un centre spatial dans une université, c’est un peu curieux, non ?
Alors, nous sommes une petite agence spatiale miniature, c’est ce que j’appelle une agence spatiale bonzaï, c’est-à-dire nous sommes une vraie agence spatiale avec toutes les missions d’une agence spatiale, mais notre rôle, c’est la formation. Nous faisons faire des projets de satellites, de véritables satellites, par des étudiants français, européens mais aussi des étudiants de pays africains. Ainsi, nous avons formé les cadres et les techniciens de l’agence spatiale de Djibouti, ceux du Sénégal qui sont restés chez nous et qui sont encore en train de fabriquer des satellites sur nos infrastructures.
Ces satellites sont-ils aussi bons que ceux fabriqués par SpaceX par exemple ?
Nous sommes une université publique, nous sommes là pour faire de la formation. Ce que nous cherchons à faire, c’est le transfert des compétences. C’est pour ça que nous travaillons avec au moins une université dans le pays ou avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du pays.
C’est, en fait, une démarche de Capacity Building, de montée en compétences. Donc, les satellites sont conçus et fabriqués par les étudiants et nous, nous les coachons. Sur chaque satellite, nous affectons un coach à l’étudiant pour vérifier que tout va bien. Le premier satellite, nous le faisons ensemble, le deuxième, ils le font tous seuls.
Que dit le partenariat que vous avez signé au Salon de l’intelligence artificielle, de l’espace et de la défense (SIADE), à Abidjan ?
Ce partenariat dit deux choses. D’abord, que SaH Analytics France va entrer dans la Fondation Van Allen en tant que membre fondateur. Ensuite, qu’un accord de formation est signé entre l’Université de Montpelier et SaH Alnalytics International pour mettre en place le programme que je vous ai décrit : accueillir des étudiants ivoiriens qui seront sélectionnés ici, et qui viendront construire un premier nano-satellite à Montpelier.
Combien de temps dure une formation de ce type sur une technologie aussi pointue que le satellite ?
Une année de cours intensifs aux métiers du spatial. On ne prend que des ingénieurs et des techniciens supérieurs diplômés. La formation fait près 500 heures de cours, c’est très lourd. Mais, je dois reconnaitre que le niveau des étudiants africains est exceptionnel. On a des jeunes aux talents extraordinaires ! Ce que nous faisons, c’est juste de les orienter vers le spatial et de révéler leurs talents.
Ensuite, on en fait de véritables ingénieurs spatiaux. Je peux vous dire que les Sénégalais et les Djiboutiens que nous avons formés sont allés chez SpaceX livrer leurs satellites et ce qu’on appelle intégrer le net sur la fusée Falcon. On a eu un retour des gens de SpaceX qui nous ont dit : « Mais qu’est-ce qu’ils sont bien formés ! On ne s’attendait pas à voir des ingénieurs aussi bien formés ! »
Plus globalement, le spatial, quel apport pour les pays africains, notamment la Côte d’Ivoire ?
Le spatial, vous l’avez partout dans votre vie. J’aime bien dire à mes étudiants que quand on commande une pizza, le process de la commande sur internet jusqu’à la livraison, c’est entre 10 et 20 satellites utilisés. Donc, le premier impact qui est d’ailleurs lié à l’intelligence artificielle, c’est l’impact économique. Les données récoltées par satellite permettent d’ouvrir des applications dans tous les domaines.
Vous allez pouvoir travailler sur l’agriculture de précision, la ressource en eau, comme on le fait au Sénégal et à Djibouti. Vous savez que ce sont des pays où il y a des sécheresses terribles. Donc, le gouvernement, grâce aux satellites, sait à chaque instant, quel est le niveau d’eau des puits critiques du pays. Et quand il n’y a plus d’eau, il fait venir des citernes et, ainsi, on sauve les populations.
Mais ici, en Côte d’Ivoire, quelle est la valeur ajoutée du satellite ?
On n’est pas dans ce cas précis en Côte d’Ivoire, mais ici, on a l’orpaillage clandestin, par exemple. On la pêche illégale qui coûte des milliards d’euros, on a la défense du territoire, bien entendu, en étant capable de donner une alerte avancée. Mais, j’insiste sur le fait qu’avec les images, avec les données des satellites, on est capables de faire émerger un tissu d’innovations, des startups qui vont prendre ces données pour en faire leur miel. Ainsi, elles peuvent créer de la richesse, de l’emploi, grâce à des petites applications qui vont faciliter la vie de tous les jours des citoyens. C’est cela, pour moi, la vraie valeur ajoutée du spatial.
Interview réalisée à Abidjan
Par K. Bruno