Les 19 et 20 novembre 2025, Dakar sera l’hôte de la 7ème édition du Next Fintech Forum. Des experts comme le professeur Charles Linjap, consultant à l’Union africaine, y prendront part. Dans cette interview, il revient sur les enjeux réglementaires, les avancées sur la monnaie numérique et le rôle des fintechs dans la transformation des économies africaines.
Pourquoi avoir accepté de participer au Next Fintech Forum ?
Le Next Fintech Forum, c’est un grand forum continental qui s’arrime à la vision de l’Union africaine. L’Union africaine a une ligne qui encourage la blockchain et l’intelligence artificielle, et je pense que ce forum vise à promouvoir les new tech, les innovations dans la tech. Le deuxième aspect, l’Union Africaine est en pleine transition vers un marché intégré qui la ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine). Certains pays africains font déjà du commerce entre eux. Mais à travers la blockchain, il est possible d’encourager les startupers à innover dans la fintech pour faciliter les paiements interopérables et le commerce transfrontalier entre les grandes entreprises et les PME.
Plus intéressant, l’Union africaine a une vision pour encourager les startupers à créer des programmes Web.3. Ce sont des technologies décentralisées, y compris la blockchain. On peut citer la gestion des élections, la transparence financière, le transfert d’argent et la mallette électronique. Il y a même la monnaie numérique de la banque centrale que certains pays africains utilisent déjà. En fin de compte, la blockchain relève tous les types d’innovations qui encouragent la participation citoyenne et les secteurs technologiques, surtout les new tech ou les big tech, à créer des emplois pour les jeunes et pour les femmes.
La dernière raison, c’est qu’à partir de la blockchain, les new tech forums doivent être des plateformes qui encouragent les jeunes africains, les femmes africaines, les ingénieurs africains, les entreprises africaines à s’intéresser davantage à ces formes de technologies de participation citoyenne, de transparence. En plus, ça crée l’intégration économique de tous les pays africains. Et d’ici peu, avec les stablecoins qui se développent sur le continent, l’Afrique va faire la transition vers la monnaie commune. La monnaie commune c’est quoi ? Ça veut dire les stablecoins, une monnaie commune qu’on va utiliser pour faire du commerce transfrontalier entre les 54 pays.
Que dit la stratégie blockchain de l’Union africaine ?
La stratégie blockchain de l’Union africaine vise à impliquer toutes les parties prenantes : startupers, PME, grandes entreprises, banques commerciales, gestionnaires d’actifs, pays membres de l’Union africaine. Elle encourage à utiliser la technologie blockchain parce que c’est transparent, c’est redevable, c’est anti-corruption.
Qu’est-ce que la blockchain ?
C’est une technologie qui facilite les transactions en ligne. Ça veut dire que vous pouvez facilement faire des transferts d’actifs numériques d’une personne à l’autre avec de la traçabilité. C’est une technologie qui implique tout le monde dans un écosystème favorable qui n’encourage pas la tricherie. Pour résumer, la stratégie de blockchain de l’Union africaine repose, je veux dire, sur 5 piliers.
Quels sont les piliers de la stratégie blockchain de l’Union africaine ?
Le premier pilier encourage l’inclusion financière à travers l’usage de la cryptomonnaie pour faire des transferts d’argent, pour avoir des mallettes électroniques en ligne. C’est une manière de lutter contre l’inflation. Le deuxième pilier consiste à encourager les stablecoins. Les stablecoins, c’est la monnaie commune. Comme vous le savez, chaque pays africain utilise sa propre monnaie, sauf les pays francophones, qui utilisent encore le franc CFA. Avec la blockchain, il y a possibilité d’utiliser une monnaie numérique commune, un stablecoin comme on dit en anglais, qui va leur permettre de vite faire des transferts d’argent sans avoir des contraintes des autorités qui doivent valider.
Le troisième pilier encourage l’usage de la monnaie numérique au niveau de la banque centrale. Ça veut dire que tous les pays africains pourraient se connecter à ça, faire des transferts d’argent entre eux. C’est le premier tiers niveau. Le deuxième tiers niveau sert à faciliter l’utilisation de la monnaie numérique de la banque centrale pour faire des virements vers des banques commerciales sans leur donner de l’argent en espèces. Le quatrième pilier, c’est que l’Union africaine veut créer un cadre réglementaire par rapport à la cryptomonnaie. Cela permettra aux pays de ne pas avoir des lois différentes en rapport aux transferts d’argent.
Le cinquième et dernier pilier de la stratégie blockchain repose sur l’encouragement des pays africains à investir davantage dans l’énergie. Ça veut dire qu’il faut construire des facilités pour donner la possibilité aux acteurs des milieux ruraux d’avoir accès à l’énergie et d’être capables d’utiliser la blockchain. Tout ça est basé sur la technologie cloud, sur l’échange de données rapide. Ce sont là, les cinq piliers, les noyaux de la stratégie de blockchain de l’Union africaine.
Quels sont les pays en Afrique qui utilisent déjà la monnaie numérique ?
Dans la plupart des banques des pays anglo-saxons, Zimbabwe, Afrique du Sud, Nigeria, Kenya, la plupart des transactions entre banque centrale et banques commerciales se font électroniquement. Ces pays exploitent déjà l’argent numérique. Mais, au premier tiers niveau, ça se passe entre banque centrale et banques commerciales. On aimerait avoir une monnaie numérique qui sort de la banque centrale pour aller vers le peuple. Cela voudrait dire que nos comptes mobiles money deviennent des comptes numériques où la banque centrale peut aider certains citoyens vulnérables sans passer par la bureaucratie. Il faudrait juste un répertoire des bénéficiaires avec un numéro, et la banque centrale pourrait faire un virement vers ces comptes. Et cela peut arriver dans 2 ou 3 ans.
Parlant de blockchain et cryptomonnaie, des pays comme l’Afrique du Sud et le Ghana ont mis en place un cadre règlementaire pour faciliter l’usage de ces actifs. Mais, des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire hésitent. Pourquoi ?
L’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, le Kenya, tous ces pays anglophones veulent aller vite dans les innovations financières. Les pays francophones, eux, n’ont pas de politique monétaire propre. De plus, ils ont un système qui les empêche d’avoir l’autonomie et de faire la migration de la monnaie fiduciaire vers la monnaie numérique ou l’actif numérique. Les pays francophones ne sont pas pleinement décolonisés, surtout au niveau monétaire. Il faut leur donner la pleine responsabilité de faire leur politique monétaire. Si on fait ça, ils vont adopter une politique monétaire adossée sur les actifs numériques. Ces cadres n’existent pas.
Au Nigeria, en Afrique du Sud, au Ghana, au Kenya et dans d’autres pays anglophones d’Afrique, ces cadres existent, et ça fonctionne bien chez eux. Par exemple, au Nigeria, cette année, dans les 6 premiers mois, ils ont fait 60 milliards de dollars de transactions numériques en utilisant la cryptomonnaie.
Il faut que les pays francophones aussi passent à l’usage de la technologie blockchain qui n’est pas forcément la cryptomonnaie. C’est une technologie décentralisée, applicable à tous les secteurs, y compris les secteurs humanitaires. Les ONG pourraient se saisir cette technologie pour recueillir des fonds, les utiliser, justifier leur usage. Les opportunités sont vraiment énormes.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux entreprises qui seront présentes au forum de Dakar ?
Je veux d’abord souligner que ce forum doit chercher à rétrécir tous les défis qui affectent le secteur tech en Afrique. Dans le secteur tech, nous avons des génies. L’Afrique a beaucoup d’ingénieurs. Dans nos campus et universités technologiques, il y a tellement de talents. Mais qu’est-ce qui fait que l’Afrique n’arrive pas à produire des talents tels que les Mark Zuckerberg, Jeff Bezos ou Elon Musk ? Pourquoi l’Africain n’arrive pas à avoir des plateformes technologiques de même niveau que Facebook, LinkedIn ? C’est parce qu’il y a des défis à rétrécir.
Le premier défi, c’est l’accès au financement. Il n’y a pas de Tech Fund en Afrique. Un Tech Fund est un mécanisme de financement qui vise les jeunes et les femmes dans les secteurs technologiques. Même si la ZLECAF a un protocole sur le commerce électronique pour encourager les femmes et les jeunes startupers à faire du commerce électronique transcontinental, pour que cela soit faisable, il faut d’abord avoir des fonds disponibles créés par l’Union africaine. Ce sont ces fonds qui feront que nos génies, qui ont des capacités, qui peuvent faire des choses à l’échelle continentale, pourront saisir les opportunités de faire le marketing, le pitching pendant des grands événements comme Next Fintech Forum.
En dehors des Tech Fund ou les fonds de garantie que les États peuvent créer, il manque aussi le capital de risque. Les start-upers, en général, n’ont pas de ressources à hypothéquer pour avoir de l’argent. Un startuper, la seule chose qu’il peut hypothéquer pour avoir de l’argent, c’est sa connaissance, c’est ce qu’il a inventé. Peu d’investisseurs ont créé des fonds de capital de risques en Afrique. Ceux qui existent, ce sont des gens qui viennent d’ailleurs. En plus, ça continue d’enrichir ces cycles d’exploitation des cerveaux africains, la fuite des cerveaux.
La première chose que je dirais aux participants qui viendront à Next Fintech Forum 2025 à Dakar, c’est qu’il faut créer un fonds tech à l’Union africaine, dans chaque pays, et dans chaque région du continent. La deuxième chose, il faut créer des fonds de capital de risques au niveau des pays, au niveau régional, au niveau de la CEDEAO. Il faut encourager les investisseurs africains, comme Dangote à investir davantage dans des secteurs phares, parce que l’Afrique est toujours à la marge.
J’implore les grandes entreprises à créer des facilités d’incubateurs pour les startups, c’est-à-dire de les intégrer dans leurs chaines de valeur, leur donner la possibilité d’apprendre, d’inventer des choses qui peuvent enrichir les gens de l’entreprise. Au finish, j’encourage les pays africains, l’Union africaine, à écrire un cadre de réglementation de la blockchain et de l’intelligence artificielle. Ce sont des domaines d’avenir. Je n’oublie la tokenisation des actifs réels. Ça veut dire que dans la gestion des actifs, on peut tout faire en utilisant la blockchain.
Interview réalisée par M. Gassama





































