Radiatou Ouro-Gbele, experte togolaise en cybersécurité, dans une interview à Digitalmag.ci, parle de sa passion pour la cybersécurité et des enjeux cyber pour la jeunesse africaine. C’était aux Assises de la transformation digitale en Afrique, les 20 et 21 novembre 2024, à Abidjan.
Quelles sont vos impressions après les Assises de la transformation digitale en Afrique, tenues à Abidjan ?
J’ai répondu à une invitation où l’on parle d’intelligence artificielle et de cybersécurité. Ces deux jours ont été enrichissants. J’ai constaté que les États manifestent une volonté d’adopter l’IA tout en mettant en place un cadre réglementaire et éthique adapté. Cela m’a rappelé mes premiers cours à l’école d’ingénieurs où l’éthique était au cœur des enseignements. On nous enseignait la responsabilité de concevoir des systèmes capables à la fois d’améliorer la société et, potentiellement, de lui nuire. C’est pourquoi il est crucial que les acteurs qui développent et utilisent l’IA s’engagent à respecter une éthique et un cadre réglementaire.
Vous avez participé à un panel sur : IA, menace croissante pour la cybersécurité en 2024. Que doit-on retenir ?
J’ai abordé les vulnérabilités que l’IA peut introduire dans des secteurs sensibles comme la santé. Par exemple, l’utilisation de l’IA pour des diagnostics et des traitements repose sur des données personnelles sensibles. Cela implique l’anonymisation, le chiffrement et une gestion rigoureuse pour éviter tout risque de compromission. Vous savez, les infrastructures de données, comme les serveurs, sont des cibles potentielles de cyberattaques. Toute chose pouvant entrainer des erreurs de diagnostic avec des conséquences sur la santé des gens. Pis, une altération des données peut coûter des vies. D’où la nécessité d’une sensibilisation, car l’erreur humaine reste la principale cause des failles de cybersécurité, 95% selon IBM.
Quels sont les défis en matière de cybersécurité en Afrique ?
Il y a une prise de conscience autour des enjeux de cybersécurité, mais il reste beaucoup à faire en matière de sensibilisation et de formation, notamment auprès des cadres dirigeants. Là où je travaille, en Occident, nous intégrons des systèmes d’identité et de gestion des accès à privilèges. Alors que nos actions en Afrique se concentrent sur la gouvernance et la conformité. Nous sommes dans la sensibilisation des comités de direction et dans la formation des managers, chefs d’agence et caissiers. Lorsque ces derniers sont conscients de la menace et connaissent les risques, ils donnent les moyens à leur entreprise et ça roule. Là, nous venons de Lomé pour une prestation dans une banque. Tout s’est bien passé. D’ailleurs, le comité de direction a, aussitôt, demandé à mettre en place une feuille de route l’année prochaine. La cybersécurité, ce n’est pas une question de budget, mais une question de prise de conscience des décideurs.
Qu’en est-il des défis concernant les femmes ?
(Rires) Ah les femmes, elles ont beaucoup de défis. Le principal réside dans la gestion de multiples attentes et responsabilités. Beaucoup grandissent en intériorisant l’idée qu’elles ne sont pas aussi brillantes que les hommes, ce qui les oriente vers des filières éloignées des métiers techniques comme la cybersécurité ou l’IA. Ce problème appelle à un changement de mentalité qui doit commencer à la maison. Il est essentiel de créer un environnement où les jeunes filles développent leur confiance en elles et comprennent que l’intelligence n’est pas genrée. Un autre défi est le manque de modèles féminins visibles. Nous avons besoin de femmes brillantes, dirigeant des entreprises en cybersécurité et en intelligence artificielle, non pas par discrimination positive, mais par compétences.
A OG IT Consulting, quelles sont vos initiatives pour encourager les jeunes à opter pour les filières technologiques ?
Nous sensibilisons les jeunes aux métiers de la cybersécurité, notamment en Côte d’Ivoire, à l’INP-HB, et au Togo. Nous leur montrons les opportunités et les avantages financiers qu’ils peuvent recevoir. Nous leur rappelons que, grâce à leur savoir, ils peuvent accéder aux plus grandes tables de décision où seules la compétence compte. Toutefois, nous avons besoin de soutien et de financement. Jusqu’ici, nous avons mené nos actions sur fonds propres, mais notre objectif pour 2025 est de sensibiliser et former 10 000 jeunes. Cela nécessite des ressources plus importantes. Par ailleurs, il est indispensable de garantir un accès adéquat à des infrastructures de base comme l’internet et l’électricité, sans lesquelles l’apprentissage et l’adoption des technologies est impossible.
Pourquoi avez-vous choisi la cybersécurité et pas une autre branche ?
Depuis mon enfance, je suis animée d’un amour pour la protection des autres. Mon parcours a été façonné par mon environnement familial, entre un père ingénieur très engagé et une mère commerçante visionnaire. Très tôt, j’ai été exposée à des responsabilités, ce qui m’a permis de comprendre la valeur du travail, de l’impact et de l’indépendance. Après des études en sciences et télécommunications, un ami m’a introduite à la cybersécurité. Ce domaine m’a attirée par son potentiel à résoudre des problèmes complexes tout en protégeant les individus et les systèmes vulnérables dans le monde numérique. La cybersécurité est pour moi une extension de ma nature profonde : protéger. Je me vois comme une gardienne du monde numérique. C’est pourquoi à travers ma fondation et OG IT Consulting, je sensibilise et forme les jeunes aux opportunités qu’offre la cybersécurité, tout en les inspirant à croire en leurs capacités.
La cybersécurité est-il un métier bien payé ?
Très bien et je vous parle de millions de dollars. Imagine un métier où, en 5 ans, une personne peut non seulement devenir experte mais aussi créer une entreprise qui génère des millions de dollars. En 5 ans, elle peut être millionnaire. Où voit-on une telle opportunité ? Pour moi, l’avenir réside dans la cybersécurité, car le monde est déjà numérisé. Il reste la sécurisation de cet univers. Sans cybersécurité, c’est comme laisser un coffre-fort ouvert chez soi. On parle beaucoup d’intelligence artificielle, mais il est impossible de dissocier l’IA de la cybersécurité. Les deux vont de pair pour bâtir un avenir numérique sûr et durable.
Entretien réalisé par E. Yao