Tapotez, tapotez ! Envoyez les fleurs, les lions ! Faites monter Aya Robert ! Voilà quelques refrains qui passent en boucle dans les oreilles des utilisateurs locaux de TikTok. Tel le pelage d’un dalmatien, la Tiktoksphère ivoirienne est maculée de taches noires indélébiles.
Ragots, atteintes à la pudeur, arnaques, m’as-tu-vu y pullulent, avec un seul objectif en ligne de mire : l’argent. La plateforme chinoise est connue pour son caractère addictif et abrutissant, en dépit de sa poignée de contenus instructifs. En Côte d’Ivoire, cette mine d’or attire des influenceurs sans foi ni loi, mais pas la censure, les mesures restrictives, encore moins le contrôle de l’État. Y’a problème !
Le mal TikTok ivoirien
Aya Robert, Maa Bio, Général Makosso, Apoutchou National, Nicapol sont les pseudonymes des personnes qui influencent l’opinion, la consommation par leurs audiences sur TikTok. Ce sont des influenceurs, si on s’en tient à la définition du terme. Et comme eux, il y en a une pléthore, qui fait fi des codes de bonne conduite, dans la course à l’enrichissement. Kadio Mourou Nic-Apol Christian Emmanuel, plus connu sous le sobriquet de Bébé Nicapol a lancé depuis début 2023 une série de directs TikTok à caractère exhibitionniste.
Le concept est simple : présenter, aux voyeurs connectés au live, des filles qui se trémoussent en tenue légère, avec une musique en fond sonore. En contrepartie, ces dernières gagnent plus de visibilité tandis que l’initiateur du direct reçoit en mondovision de l’argent des voyeurs sous forme de cadeaux TikTok (fleur, lion, etc.). Même mode opératoire avec Aya Robert, spécialisée dans l’ingérence dans la vie d’autrui, qui anime ses directs avec des informations sensibles sur des personnes qu’elle cloue au pilori.
Quant à Maa Bio, Kouamé Yeelen à l’état civil, elle utilise son train de vie facticement luxueux comme appât, avec en supplément des attaques visant des personnes du même secteur d’activité. Apoutchou National, Stéphane Agbré, connu pour ses buzz arrangés, Makosso Camille pour ses grossièretés, Observateur Ebene pour ses attaques ciblées sur fond de comédie… La liste est longue. Et ça va dans tous les sens de la médiocrité. C’est ça la photo de couverture de TikTok Côte d’Ivoire. Un portrait qui masque les quelque comptes produisant du contenu potable.
Qui sont les responsables de l’éthique et de la morale sur les réseaux sociaux en Côte d’Ivoire ?
L’application chinoise a ses conditions d’utilisation. Celles-ci ont prévu des mesures de restrictions. En témoigne le blocage de Nicapol après un direct juteux qui lui a rapporté quelques millions de FCFA. Mais c’est insuffisant, car les mesures restrictives de TikTok sont parfois déconnectées des réalités. En revanche, la PLCC, la Police nationale et la HACA mènent des actions de contrôle de l’environnement numérique ivoirien, de façon générale. Ces organismes font-ils leur travail ? Dans un certain sens, oui. Mais pas toujours. Et cela est lié à la complexité du contrôle des réseaux sociaux en général, de TikTok, en particulier.
Toutefois, le 11 avril 2022, la police nationale a arrêté dame Z.N, rapporte Koaci.com. Elle a été inculpée pour avoir tenté d’organiser une soirée à tendance pornographique dénommée Soirée des pervers, via les réseaux sociaux. L’article 416 du Code pénal ivoirien écrit : « Constitue un outrage public à la pudeur, tout acte commis dans un lieu public ou ouvert au public ou dans les conditions prévues à l’article 184, offensant les bonnes mœurs ou le sentiment moral des personnes qui en sont involontairement témoins et susceptible de troubler l’ordre public ». Cela dit, les directs de Nicapol sur TikTok sont un outrage public à la pudeur, mais aucune mouche n’a volé dans la cuisine des sanctions prévues à cet effet.
Le jeudi 26 octobre 2023, à Abidjan, la HACA organise la présentation de la première Charte des réseaux sociaux. Celle-ci comprend sept principes inspirés de la loi n°2022-979 du 20 décembre 2022 modifiant la loi N° 2017-868 du 27 décembre 2017 sur la communication audiovisuelle. Le deuxième principe qui fait référence au respect des droits et de la dignité d’autrui, demande aux blogueurs et aux influenceurs de « respecter la vie privée et la dignité des individus en évitant toute atteinte à leur honneur, leur réputation ou leur vie personnelle ».
Les contradictions des institutions ivoiriennes
Le deuxième principe de la charte dit aussi « d’éviter les propos grossiers et injurieux faisant référence au physique ; les discours haineux, diffamatoires, discriminatoires ou offensants fondés sur la race, l’ethnie, la religion, le genre, l’orientation sexuelle ou toute autre caractéristique protégée ; la diffusion de propos appelant, à la xénophobie, au racisme, à la violence sous toutes ses formes, au sexisme et à la pédophilie. Les influenceurs rois de TikTok ne s’alignent pas sur cette charte. S’agissant de la PLCC, elle attend des dépôts de plaintes pour agir. Et son terrain de chasse favori est Facebook.
En plus d’être molles, nos institutions couvrent les influenceurs outranciers de lauriers. Apoutchou National a été choisi comme ambassadeur de la carte CMU par le ministre en charge de la Santé, le 2 septembre 2024. Maa Bio s’est filmée avec le président de la FIF, Idriss Diallo, lors d’un dîner de présentation du trophée de la CAN, un peu plus tôt dans l’année. Des apparitions qui confortent ces destructeurs de la morale dans leur position, au point de légitimer leurs agissements sur TikTok.
Le monde sanctionne TikTok, quid de la Côte d’Ivoire ?
Les Ivoiriens qui raffolent de contenus portant atteinte aux mœurs sur TikTok sont nombreux. Ceux qui les ont en horreur le sont également, à l’instar de Fatima Ouédraogo, une étudiante interviewée par la chaîne de télé 7 Info en décembre 2023, sur la suppression de TikTok en Côte d’Ivoire : « J’ai été tenté de l’installer sur mon téléphone. Je suivais des chefs cuisiniers pour en apprendre plus. Mais après, j’ai désinstallé, parce que le contenu n’était pas approprié. Je pense que ce serait une bonne chose de supprimer TikTok en Côte d’Ivoire, ça va aider beaucoup les parents vu que les enfants ont accès à des contenus inappropriés ».
Malheureusement, les appels au contrôle du flux TikTok, comme celui-ci, butent sur des tympans en béton, tandis qu’ailleurs la verge est dressée. Le Sénégal a interdit depuis le 2 aout 2023 TikTok sur son sol suite à des vidéos de propagandes. Idem pour la Somalie. Aux États-Unis, ByteDance est contraint de vendre des parts de son entreprise si elle souhaite toujours voir TikTok sur le territoire. Une décision attaquée en justice, justifiée par des actions d’espionnages menés par des employés de firme. En Europe, TikTok a mauvaise réputation.
Malgré le nombre de canons pointés sur le front de l’application chinoise, la Côte d’Ivoire n’a pas la gâchette facile. Hélas !
James Kadié