Le jeudi 13 mars 2025, le ministre de la Transition numérique et de la Digitalisation a remis au Premier ministre Beugré Mambé les documents de la Stratégie nationale de l’intelligence artificielle (SNIA) et de la gouvernance des données. Cette stratégie devrait transformer le paysage numérique en Côte d’Ivoire. Les acteurs du secteur la saluent donc, mais révèlent quelques points saillants.
Jacques Gnongui, CIO de Jool International et expert en optimisation agricole via l’usage de drones et d’outils d’IA, partage avec Digital Mag, son avis sur la stratégie, ses impacts potentiels et ses limites pour les entreprises privées.
Le nerf de la guerre, c’est la donnée
Jacques Gnongui pose d’abord un diagnostic : l’ambition est là, mais l’impact concret se fait attendre. « À l’heure actuelle, la stratégie de l’IA ne nous aide pas vraiment, mais elle pourrait transformer nos activités lorsque son pilier Accès aux données sera pleinement mis en œuvre », tranche-t-il. Son principal grief est l’absence de bases de données fiables sur l’agriculture, un frein pour les entreprises qui, comme la sienne, s’appuient sur l’intelligence artificielle pour optimiser la productivité.
Donc, le nerf de la guerre, c’est la donnée. Et sur ce point, la Côte d’Ivoire accuse un retard qui préoccupe. Le portail national des données, censé fournir des ressources exploitables, est jugé insuffisant et obsolète. « Nous voulons des moyens de collecte de données pour entraîner nos modèles d’IA, mais aujourd’hui, nous devons nous débrouiller seuls, avec des coûts exorbitants », explique-t-il.
Faute d’une infrastructure publique efficace, les entreprises privées se retrouvent à nouer des partenariats coûteux avec d’autres acteurs du secteur privé pour accéder à des données fiables. Un paradoxe que la SNIA devra résoudre pour démocratiser l’accès aux données stratégiques.
Les risques de dépendance aux normes étrangères
Si le CIO de Jool International reconnaît le potentiel de la stratégie nationale, il alerte cependant sur une dépendance excessive aux normes étrangères et au risque de projets fantômes. « Je crains une dépendance aux normes étrangères et, sans adaptation locale, nos entreprises, qui en sont encore aux balbutiements en matière d’IA, risquent d’être incapables d’exploiter pleinement ces technologies », avertit-il.
Il plaide pour une régulation pensée selon les réalités ivoiriennes, afin d’éviter un cadre trop rigide qui risque d’étouffer les innovations locales. Dans une Afrique en pleine mutation numérique, imposer des modèles inadaptés pourrait tuer dans l’œuf l’émergence d’une IA taillée sur mesure pour le continent.
Le spectre des projets blancs, ces IA coûteuses mais sous-utilisées
Autre point d’inquiétude, le spectre des projets blancs, ces plateformes d’IA coûteuses qui finissent sous-utilisées faute d’adhésion des entreprises ou d’obsolescence précoce. « L’évolution technologique est si rapide que certains investissements pourraient être obsolètes avant même d’être pleinement opérationnels », prévient Jacques Gnongui.
L’IA, en perpétuelle mutation, exige une agilité que les politiques publiques peinent parfois à suivre. En dépit de ses critiques, Jacques Gnongui n’écarte pas les opportunités qu’offre cette stratégie si elle est bien exécutée.
Mais le temps presse. Pour que la Côte d’Ivoire devienne un hub de l’IA en Afrique, elle doit lever les freins à l’accès aux données, créer un environnement réglementaire flexible et favoriser l’adoption massive des solutions IA par le secteur privé. Le gouvernement a posé les premiers jalons, mais la mise en œuvre reste le véritable test.
James Kadié